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Runes and rune-stones in Scandinavia

  • Les runes

    NOTE : English translation is in progress 

    Lucie MALBOS, 23 avril 2019
    Swedish History Museum (Photographe : Sara Kusmin)
    http://historiska.se/upptack-historien/object/267706-runsten-dr-359-av-bergart/

    Un système d’écriture ancien et présent dans toute l’Europe du Nord
    Ce système d’écriture est antérieur à la période dite « viking » proprement dite : il est présenté comme un don des dieux dans la mythologie scandinave et ses plus anciennes attestations semblent remonter au IIe siècle. Les inscriptions runiques ne sont par ailleurs pas spécifiques au monde scandinave : elles se diffusent assez largement dès les Ve et VIe siècles, avec les migrations germaniques. Les modalités exactes de leur diffusion restent encore assez débattues mais, dans tous les cas, cette diffusion est le signe de contacts culturels entre différentes régions du nord de l’Europe dès cette période. On en retrouve ainsi en Suède, Norvège, Danemark, Groenland, Islande, mais aussi en Angleterre, Irlande, Écosse, Orcades, île de Man, Allemagne, Pays-Bas.
    La base de données développée par l’université d’Uppsala dans le cadre du Skaldic Project (un projet international lancé en 1993 et géré par l’université d’Uppsala, qui vise à rassembler tous les textes, sous toutes les formes en langue norroise), consultable en ligne, a permis d’établir un catalogue clair et facile d’utilisation, dans un format pouvant faire l’objet de traitements automatiques. La version actuelle, publiée le 19 janvier 2018, comprend autour de 6 500 inscriptions et permet d’avoir un bon aperçu de cette répartition : on en retrouve plus de 3 600 en Suède, 1 600 en Norvège, un bon millier au Danemark, autour d’une centaine au Groenland et en Angleterre (inscriptions anglo-saxonnes et scandinaves confondues), une bonne cinquantaine en Islande, une petite vingtaine en Irlande, mais aussi quelques dizaines en Allemagne et aux Pays-Bas. La forte prééminence scandinave tient à une tradition runique bien plus durable (jusqu’au XVe siècle) que sur le continent ou en Angleterre, où elle s’efface au cours respectivement du VIIe et du XIe siècle.

    24 puis 16 caractères gravés dans un matériau solide
    D’abord au nombre de 24, elles passent à 16 au début du IXe siècle, pour former une sorte d’alphabet qualifié de futhark en Scandinavie et de futhorc sur le Continent et dans le monde anglo-saxon (chacun tirant son nom de ses premières lettres, les six premières, en l’occurrence). Formées d’un bâton vertical pouvant être associé à une ou plusieurs branches et chevrons, les runes sont conçues avant tout pour être gravées dans un matériau solide (pierre, bois, corne, etc.). Le texte qui y est gravé est généralement court : graver dans la pierre prend du temps, mais ce n’est peut-être pas la seule raison. Dans une culture encore fortement marquée par l’oralité, on peut imaginer que l’écriture soit restée reléguée au second plan durant tout le premier millénaire en Scandinavie : son usage demeure restreint à quelques cas bien spécifiques, en particulier la commémoration des défunts ou quelques formules que l’on pourrait qualifier de « magiques » (protection, mauvais sorts, etc.). Pour les rendre plus aisément lisibles, on propose généralement une translittération en lettres latines. L’inscription se trouvant sur la petite pierre de Jelling (première moitié du Xe siècle) peut ainsi être présentée sous ces trois formes :
    -  transcription des runes :
    ᛬ ᚴᚢᚱᛘᛦ ᛬ ᚴᚢᚾᚢᚴᛦ ᛬
    ᛬ ᚴ(ᛅᚱ)ᚦᛁ ᛬ ᚴᚢᛒᛚ ᛬ ᚦᚢᛋᛁ ᛬
    ᛬ ᛅ(ᚠᛏ) ᛬ ᚦᚢᚱᚢᛁ ᛬ ᚴᚢᚾᚢ
    ᛬ ᛋᛁᚾᛅ ᛬ ᛏᛅᚾᛘᛅᚱᚴᛅᛦ ᛬ ᛒᚢᛏ ᛬
    -  translittération en alphabet latin :
     : kurmʀ : kunukʀ :
     : k(ar)þi : kubl : þusi :
     : a(ft) : þurui : kunu
     : sina : tanmarkaʀ : but :
    -  traduction en français :
    Le roi Gorm a fait ériger ce monument à la mémoire de Thyra, son épouse, le joyau du Danemark.

    Les pierres runiques
    Gravées dans la pierre, le bois ou la corne, les runes relèvent donc de l’épigraphie et sont à la fois des sources écrites et matérielles : les inscriptions gravées sur d’imposantes pierres, l’endroit où elles sont implantées nous renseignent sur les sociétés à l’origine de ces monuments de pierres. On trouve également de telles inscriptions sur divers objets, du peigne à l’épée, en passant par les bijoux et diverses amulettes, cette écriture étant dotée d’une forte connotation magique. Mais grand nombre de ces inscriptions ont été gravées sur d’imposantes pierres (environ la moitié des 6 500 inscriptions répertoriées), qui se dressent aujourd’hui encore pour certaines d’entre elles dans le paysage scandinave. Il s’agit pour un grand nombre de monuments, souvent funéraires, célébrant la mémoire de quelqu’un : on y trouve par conséquent de nombreux noms de personnes ou de lieux.
    La taille, la forme et l’économie graphique (à la fois l’utilisation de l’espace disponible pour les runes et l’insertion éventuelle d’autres éléments graphiques) de ces pierres sont cependant très variables selon les périodes et les régions concernées. Il faut notamment distinguer les pierres danoises et norvégiennes, assez simples, peu décorées, avec des inscriptions en bandes ou en rangs droits, des pierres suédoises, à l’iconographie beaucoup plus complexe, surtout en Uppland (actuelle région d’Uppsala) : de nombreuses inscriptions de cette région s’inscrivent par exemple dans un ruban-serpent entourant une croix centrale.

    Pierres runiques et christianisation
    En effet, la grande période d’érection des pierres runiques en Scandinavie commence assez tardivement, à partir du milieu du Xe siècle, et se prolonge durant tout le XIe siècle, en lien avec la pénétration du christianisme en terre scandinave. Ces pierres sont ainsi un certain reflet de cette conversion, précieux en l’absence d’autres sources textuelles scandinaves contemporaines. L’inscription la plus connue en la matière est celle gravée sur la grande pierre de Jelling, où le roi Harald à la Dent Bleue (v. 958-985) proclame fièrement avoir « fait chrétiens les Danois ». Dans une période de transition religieuse, ces inscriptions répondent par conséquent à des besoins religieux et sociaux et se caractérisent par des mélanges de motifs et d’inscriptions des deux univers, païen scandinave et chrétien occidental. L’association du serpent (ou dragon), figure centrale de la mythologie nordique, et de la croix est par exemple très fréquente en Suède ; et on trouve sur de nombreuses pierres vœux et prières pour le repos de l’âme du défunt, voire des demandes d’intercession auprès du Christ, de la Vierge Marie ou encore de saint Michel, le tout gravé en runes. Sur le sarcophage de Björn Svennson (trouvé à Botkyrka, Södermanland, datant du XIIe siècle) se côtoient ainsi caractères latins (sur la tranche du couvercle) et runes (sur l’arrête du sommet), et l’inscription runique est un superbe exemple de syncrétisme, puisqu’elle mêle une formulation typique de la période viking, tirée des pierres runiques (« Karl a fait cette pierre à la mémoire de Björn, son parent »), et des éléments caractéristiques du monde chrétien médiéval (« Il gît sous cette pierre »).

    Les runes s’effacent progressivement avec l’adoption des pratiques scripturales occidentales, mais sans totalement disparaître. Devenues beaucoup plus rares, elles voient leur connotation magique et ésotérique renforcée : on en retrouve par exemple jusque dans les manuscrits occidentaux, en particulier dans les colophons, où elles semblent servir de système de cryptage.

    Swedish History Museum (Photographe : Sara Kusmin)
    http://historiska.se/upptack-historien/object/267706-runsten-dr-359-av-bergart/

    On a coutume de dire que la civilisation viking était une civilisation orale et qu’elle n’est entrée dans le monde de l’écrit que lors de sa christianisation, au début du second millénaire. Ce n’est pas complètement vrai. De fait, les sociétés scandinaves n’ont pas produit de textes en tant que tels avant l’implantation du christianisme, restant fortement marquées par l’oralité. Elles disposaient toutefois d’une écriture phonétique à base de runes, des sons phonétiques que l’on translittère souvent en lettres latines.


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  • Pistes bibliographiques

    NOTE : English translation is in progress 

    Lucie MALBOS, 12 avril 2019

    -  Skaldic Project (université d’Uppsala) en ligne
    -  BARNES, Michael P., Runes : A Handbook, Woodbridge, Boydell Press, 2012.
    -  FISCHER, Svante, Runes, Latin and Christianity in Merovingian Gaul, Insitutionen för arkeologi och antik historia, 2000.
    -  FISCHER, Svante, « Runes », dans DUMEZIL, Bruno (dir.), Les Barbares, Paris, PUF, 2016, p. 1164-1168.
    -  MAREZ, Alain, Anthologie runique, Paris, Les Belles Lettres, 2007.
    -  PAGE, Raymond Ian, Runes, Londres, British Museum Press (coll. Reading the past series), 1987.
    -  PAGE, Raymond Ian, Runes and Runic Inscriptions : Collected Essays on Anglo-Saxon and Viking Runes, Woodbridge, Boydell Press, 1995.
    -  PARSONS, David N., Recasting the Runes. The Reform of the Anglo-Saxon Futhorc, Uppsala, Uppsala universitet, 1999.
    -  SAWYER, Birgit, The Viking-Age Rune-Stones : Custom and Commemoration in Early Medieval Scandinavia, Oxford/New York, Oxford University Press, 2000.
    -  STOKLUND, Marie, et al. (dir.), Runes and their Secrets. Studies in runology, Copenhague, Museum Tusculanum Press, 2006.


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  • Notes et adresses des liens référencés

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