(Professeur d’histoire du Moyen Âge - Université Paris 10)
Depuis la rentrée 2010, les programmes de seconde ont changé. Le point positif est le maintien des périodes non contemporaines, et, pour le médiéviste, la présence obligatoire de « l’Europe aux XIe-XIIIe siècle » à la place de l’option « Méditerranée au XIIe siècle ». Mais le recentrage européen écarte pratiquement les civilisations byzantine et arabo-musulmane, au détriment de la compréhension du monde contemporain dans sa diversité. L’approche est nettement civilisationnelle et socio-culturelle et c’est dans cette perspective séduisante mais ambitieuse que, parallèlement au monde des campagnes, celui des villes est au programme.
Pour aider les professeurs, parmi lesquels une minorité seulement s’est spécialisée dans la période médiévale durant ses études, des manuels ont été imprimés :
deux manuels chez Nathan, l’un manifestement plutôt pour des élèves destinés à la filière technologique, l’autre pour des élèves promis aux séries générales, ce dernier écrit par une majorité d’enseignants de CPGE ;
un manuel Hachette, écrit uniquement par des enseignants du secondaire ;
un manuel Magnard regorgeant au contraire d’auteurs universitaires ;
un manuel Hatier où la dominante est identique ;
enfin un manuel Belin où ont écrit pas mal de docteurs en histoire ;
Point de manuel Bordas ni de Bréal ni de Bertrand-Lacoste, sous réserve d’oubli.
La place accordée au chapitre « Sociétés et cultures urbaines » occupe une petite vingtaine de pages qui sacrifient à la mode éditoriale déjà ancienne de la prédominance de l’image sur le texte, et des documents sur le « cours ». L’impression générale est assez décevante, à l’exception du manuel Hatier dont le texte de cours, faisant une place aux aspects politiques, présente une certaine consistance – et aussi une certaine difficulté– tout en proposant des démarches intéressantes d’utilisation d’internet. Pour le reste, on est frappé par la faible densité du propos, par son schématisme présentant comme caractéristiques de l’ensemble de la période des éléments valables seulement pour le XIIIe siècle finissant, sans mettre en évidence des évolutions, parce que le Moyen Âge de la vulgate scolaire demeure encore un « temps immobile ». La majeure partie des exemples concernent la France et l’Italie, l’Empire est un peu présent, à travers quelques villes hanséatiques, l’Angleterre presque pas du tout, et la péninsule ibérique n’apparaît que dans des passages recyclant l’ancien programme. Bruges, Lubeck, Paris, Tolède, Venise, Bologne ou Sienne fournissent les sujets de dossier. S’il faut saluer les efforts problématiques axés essentiellement autour du dynamisme, de la nouveauté et de l’identité urbains dans ses causes, ses manifestations et ses effets, si les articulations avec le monde rural sont plutôt bien analysées, si la borne amont du thème est bien justifiée (il n’en va pas de même pour l’aval car le plafonnement des années 1260-1280 est peu signalé), on s’étonne de l’absence de réflexion sur le terme même de « ville » et sur la faible part laissée aux legs monumentaux encore visibles (la cathédrale n’est jamais objet de dossier spécifique) et aux legs topographiques du fait urbain médiéval, sans parler du peu d’attention portée aux réseaux de villes dont le maillage marque pourtant encore la géographie de l’Europe actuelle.
Outre cette orientation étrangement peu géographique et très statique (parce que patrimoniale ?), on déplore simplifications abusives, erreurs et énormités qui dénotent surtout une vision monolithique du Moyen Âge, peu sensible aux évolutions et nuances régionales. Par exemple, les universités censées naître parfois bien plus tôt qu’en réalité (celle de Bologne est donnée pour née fin XIe), sont confondues avec des collèges, d’où la naissance de l’université de Paris fixée à 1257, date de la fondation du collège de la Sorbonne ! L’organisation des métiers avec chef d’œuvre indispensable pour accéder à la maîtrise décrit la situation du XVe siècle dans les seules grandes villes, non celle du XIIIe et le mot d’Ancien Régime « corporation » revient sans cesse à tort. La définition de la banlieue de Paris ne tient aucun compte de l’organisation compliquée des pouvoirs parisiens vers 1270 et plus généralement, y compris dans les bons manuels, les différences ne sont pas marquées, pour ce qui est des relations princes-villes, entre la France royale et princière (à partir de laquelle on extrapole à tout va) et l’Italie communale.
Autres faiblesses préoccupantes, le choix très hasardeux des documents et leur référencement plus qu’approximatif. La rigueur réclamée aux élèves fait souvent défaut aux auteurs. Dans beaucoup de cas, textes et images sont anachroniques. Certes, le fait urbain a produit davantage de documents textuels et visuels pour les XIVe et XVe siècles que pour les siècles précédents. Mais la fresque du Bon Gouvernement de Sienne réalisée dans les années 1330 est déjà bien tardive, de même que l’image des capitouls de Toulouse en 1369. Et que dire d’un texte de voyageur ibérique décrivant Bruges en 1435 ou d’un autre de Commynes sur Venise ? L’armorial Revel contenant les blasons des nobles et des places mouvant du duc de Bourbon en 1456, est un gisement commode et donc généreusement pillé de dessins de villes du centre de la France, antidatés bien légèrement du XIIIe siècle. Un certain nombre de sceaux reproduits datent du XVe siècle, de même que le vitrail de Semur-en-Auxois. En dehors de la chronologie, la pertinence de certains documents laisse songeur : pour illustrer les ordres urbains par excellence que sont les ordres mendiants, des plans de villes ou des vues de bâtiments vaudraient mieux que la fresque d’Assise représentant le pape qui approuve la règle du nouvel ordre franciscain. Le catalogage de certaines œuvres littéraires, tel le Roman de Renart, tantôt comme « urbaines » tantôt comme « rurales » trouble quelque peu, Renart se retrouvant tantôt citadin, tantôt campagnard…
La cartographie laisse aussi souvent à désirer. Le nom des puissances islamiques manque symptomatiquement sur le flanc méridional de la Méditerranée, Francfort se retrouve au sud du Danube, les cartes-plans de Paris ignorent les couvents mendiants mais mentionnent dès le XIIIe siècle le Petit Châtelet, bâti par un prévôt de Charles V, tout en cantonnant le Louvre à sa fonction militaire, et sans rappeler les origines romaines du Palais de la cité.
Est-ce l’urgence du flux tendu, est-ce l’insuffisante solidité scientifique de certains rédacteurs depuis longtemps éloignés du Moyen Âge mais bien insérés dans les réseaux éditoriaux, est-ce la volonté de se mettre à la portée des élèves en multipliant des propos simplistes et des documents sans trop réfléchir à leur pertinence, les raisons des déficiences sont nombreuses et mêlées et la charité commande de reconnaître des circonstances atténuantes aux responsables, pressés dans leur rédaction. Mais ces défauts font que les enseignants seront bien peu aidés, voire gravement fourvoyés, par une édition scolaire de qualité hélas inversement proportionnelle à son échelle de diffusion.
Sur le thème des villes au Moyen Âge
BOUCHERON Patrick et MENJOT Denis, Histoire de l’Europe urbaine. II : La Ville médiévale, Paris, Seuil, 2003, (rééd. 2011, en collection Points Histoire).