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... acculturation

  • De l’usage de l’acculturation en Histoire médiévale

    Annick PETERS-CUSTOT, 5 novembre 2013 | 31 octobre 2011

    Annick PETERS-CUSTOT

    (Maître de conférences à l’Université de Saint-Étienne)


    On peut définir, d’une manière neutre l’acculturation comme une notion descriptive assez simple, désignant l’ensemble des phénomènes résultant du contact continu et direct entre groupes d’individus appartenant à des cultures différentes et aboutissant à des transformations affectant les modèles culturels originaux de l’un ou des deux groupes. De ce fait, l’acculturation recouvre l’ensemble des processus possibles issus de cette situation de contact, avec leurs corollaires affectifs, regrets, revendication, archaïsmes volontaires, retour à une culture « authentique », à un folklore, etc. Cette simplicité apparente ne peut toutefois masquer un fait : l’histoire de l’intégration par les historiens de la notion d’acculturation, héritée du discours ethnologique et anthropologique, est celle d’un semi-échec, malgré les promesses que semblait présenter l’assimilation, dans le domaine de l’histoire culturelle, d’un concept qui avait permis, dans d’autres secteurs des sciences humaines, de rendre compte de la complexité des processus d’échanges culturels entre groupes humains.
    Le problème de la réaction à l’altérité culturelle est longtemps resté défini, en histoire, dans les termes d’une dialectique assez simple, voire simpliste, celle de l’intégration ou de la résistance. C’est l’implicite contenu par exemple, pour l’histoire ancienne ou médiévale, dans les termes de « romanisation », « latinisation », « hellénisation », « islamisation », etc. Le plus souvent non définis, ils ont l’avantage d’être immédiatement saisis par le lecteur. Ces mots décrivent une situation unilatérale, celle de l’imposition, le plus souvent volontaire et consciente, d’un système culturel à une population décrite comme le récepteur passif – et opprimé – d’une culture que ce transfert ne modifie en rien. Or, les études anthropologiques démontent cette vision mécaniste, y compris dans des situations de colonisation et d’imposition forcée, voire violente, d’un modèle culturel à un groupe de « vaincus » ou de « dominés » : ceux-ci trouvent toujours le moyen de réinterpréter la culture imposée et de conserver une partie au moins de leur système culturel originel, quitte à en modifier la cohérence. La notion d’acculturation, issue de ces travaux, semblait donc permettre de mieux rendre compte des processus complexes liés à la présence et au contact continus et directs entre groupes d’individus appartenant à des cultures différentes.
    Ce sont les années 60 du XXe siècle qui ont vu les premières tentatives d’application, dans le milieu des historiens français, de la notion d’acculturation, en particulier pour des périodes anciennes, où l’acculturation connut d’emblée et jusqu’à nos jours ses succès majeurs. Alphonse Dupront joua dans ce mouvement un rôle novateur, en faisant de l’acculturation une notion emblématique des rapports entre l’histoire et les autres sciences humaines (De l’acculturation, 1965) tout en renâclant au final à employer ce terme dans le contexte (postcolonial) de rédaction de son travail. Henri Van Effenterre se situait dans la même perspective, à la même date, pour l’histoire de l’Antiquité (« Acculturation et histoire ancienne », 12e Congrès international des sciences historiques, Vienne, 1965) : le premier préférait le terme d’« interculturation », le second, l’expression d’« osmose culturelle », dans un même état d’esprit, qui consistait à refuser de donner prise à l’idée d’une oppression culturelle. Leur démarche, même si elle aboutissait à un statu quo plutôt négatif pour ce qui est de l’importation de la notion d’acculturation, avait entraîné un élargissement, sur le modèle anthropologique, de la définition de la culture, envisagée comme un « système de communication total entre les membres d’un groupe social » (Michel Espagne). Ceci permettait d’éviter à la fois les dangers d’une conception ethnicisée de la culture, inadéquate, et l’aporie de l’abstraction induite par l’idée de « contact des cultures ».
    Quelques années plus tard, Nathan Wachtel défendit l’usage de la notion à plusieurs reprises, d’abord dans son étude sur les évolutions cultuelles des Indiens du Pérou face à la conquête espagnole (La vision des vaincus, 1971), puis dans le chapitre sur l’acculturation du collectif dirigé par Jacques le Goff et Pierre Nora qui visait à présenter les nouvelles problématiques historiques et les modes d’appréhension les plus récents de ces nouveaux champs (Faire l’histoire, I. Nouveaux problèmes, Paris, 1974). Wachtel y décrivait l’acculturation comme une notion vouée à une carrière historique prometteuse, dans le sillon du considérable déploiement de l’histoire culturelle. Pourtant, vingt ans plus tard, une autre synthèse méthodologique sur l’histoire culturelle révéla le soin que les historiens montraient à éviter l’usage de la notion, évoquant plutôt les « transformations » ou les « échanges culturels » (Pour une histoire culturelle, dir. J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli, Paris, 1997). La fin des années 90 semble avoir marqué, en France, non tant le refus net de la notion que l’approbation tacite sur le fait qu’on ne chercherait pas à l’établir comme un concept clef de l’histoire culturelle.
    Le milieu des historiens anglo-saxons, moins systématiquement prudent dans les importations ethnologiques ou anthropologiques, semble au contraire apprécier fortement l’usage de l’acculturation. C’est notamment le cas en ce qui concerne l’extension de l’enquête sur la « romanisation » de l’Antiquité aux IVe-VIIIe siècles. Cette extension permet de renouveler l’approche tant des invasions barbares dans l’Empire romain (en en dédramatisant les conséquences), que du passage de l’Antiquité au haut Moyen Âge (dans la lignée de la relecture de l’« Antiquité tardive » et de ses variations chronologiques – cf. Chris Whickam). Elle donne aussi et surtout l’occasion de fonder la perception de la naissance des peuples occidentaux à partir de nouvelles notions, notamment celle d’ethnogenèse, qui prend racine dans tous les champs scientifiques, ce qui implique un point de vue résolument transdisciplinaire. Représentatif de ce mouvement, le projet « The Transformation of the Roman World », dirigé par Ian Wood, Javier Arce et Evangelos Chrysos, s’est voué entre 1994 et 1997 à l’étude de la transition entre Empire romain et haut Moyen Âge dans l’Europe occidentale et centrale, en réunissant des historiens, historiens de l’art, linguistes, numismates, spécialistes du droit, pour publier un grand nombre de volumes (18 prévus), dont le second, Strategies of Distinction. The construction of Ethnic Communities, 300-800, éd. W. Pohl et H. Reimitz (Brill, 1998) traite largement de la problématique de l’acculturation (et de son miroir, la distinction identitaire), considérée des points de vue du droit, de l’idéologie politique ou encore des choix onomastiques.
    Ainsi pris entre l’absence d’une réflexion méthodologique ferme dans le contexte francophone, et l’enthousiasme anglo-saxon pour l’acculturation appliquée à la constitution puis au délitement de l’Empire romain, le médiéviste français se situe dans une sorte de marais conceptuel, relativement à la question des « échanges culturels » : libre à lui, de fait, de choisir ses mots, et d’employer des termes qui induisent un processus forcé et unilatéral, pourtant dénoncé par la notion d’acculturation, en l’associant ou en l’alternant avec l’« acculturation », parfois sans définir ni les uns, ni l’autre (par exemple Acculturation / Inculturation du christianisme en Europe : actes de la journée d’études du 4 avril 1997, Paris, 1998 – on ne trouvera pas dans cet ouvrage une explicitation du doublon du titre, ni même une définition de chacun des termes employés). L’acculturation est devenue un terme un peu vide, dont l’usage s’accompagne rarement d’un affrontement réel de sa définition et de son maniement, le plus souvent restreint à celui, descriptif, d’un concept opératoire, permettant d’envisager certains phénomènes (effets générationnels, intégration opportuniste des élites, gestion politique des enjeux culturels). Pour l’heure, l’acculturation est surtout utilisée par les historiens du Moyen Âge, qui s’intéressent aux échanges et transferts culturels dans les zones dites « de contact » ; la notion s’est également spécialisée, dans la lignée de l’appréhension anthropologique du religieux et du sacré (Métamorphoses du sacré : acculturation, inculturation, syncrétisme, fondamentalisme, éd. J. Ries et N. Spineto, Turnhout, 2010), dans l’histoire religieuse. Elle est encore implicitement liée à un contexte de « colonialisme », de violence, de rupture. Si l’intérêt du concept d’acculturation tient précisément dans la contrainte, qui fait naître des réactions complexes (résistance, adaptations, alliances, opportunisme, stratégies de contournement…), l’insistance excessive sur l’oppression culturelle et la domination violente crée encore aujourd’hui un caricatural monopole conceptuel de l’acculturation pour des situations coloniales (ou assimilées). Aucun autre terme n’ayant réussi à s’imposer vraiment, le médiéviste fait quant à lui son marché en fonction plus de sa sensibilité que d’un bagage conceptuel fermement délimité.


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  • Bibliographie

    Annick PETERS-CUSTOT, 31 octobre 2011

    De l’usage de l’acculturation

    - DUPRONT Alphonse, « De l’acculturation », dans XIIe congrès international des sciences historiques, vol. i, Rapports, Vienne, 1965, p. 7-36.
    - Métamorphoses du sacré : acculturation, inculturation, syncrétisme, fondamentalisme, J. RIES et N. SPINETO éd. , Turnhout, 2010.
    - Annick PETERS-CUSTOT, Les Grecs de l’Italie méridionale post-byzantine (IXe-XIVe s.), une acculturation en douceur, Rome, 2009 (Collection de l’École française de Rome).
    - Strategies of Distinction. The construction of Ethnic Communities, 300-800, W. POHL et H. REIMITZ éd. , Leiden, 1998.
    - Henri VAN EFFENTERRE, « Acculturation et histoire ancienne », dans 12e Congrès international des sciences historiques, vol. i, Rapports, Vienne, 1965, p. 37-44.


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