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  • De l’usage des animaux en Histoire médiévale

    Fabrice GUIZARD, 14 novembre 2013

    Fabrice GUIZARD

    Maître de conférences à l’Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis


    Avant que les textes en témoignent, donc bien avant le Moyen Âge, les relations aux animaux ont intéressé les hommes, tant dans la représentation de l’univers que par les aspects pratiques de leur proximité. Sous la plume des érudits médiévaux, le rapport homme-animal est paradigmatique car, suivant les Écritures, il permet un positionnement clair de l’Humanité dans la Création. Dans la volonté de persuader le lecteur ou l’auditeur, le clerc écrivant sur l’animal l’utilise comme exemplum ; il puise alors dans un héritage antique déjà riche, augmenté au haut Moyen Âge par la documentation patristique ; il considère de manière égale tous les animaux : domestiques, commensaux, sauvages et fabuleux. Ce qui a conduit de nombreux chercheurs à cantonner l’analyse à l’aune des concepts topiques et antithétiques nature/culture, transposés jadis de l’anthropologie mais revus depuis (Ph. Descola), et déclinés selon les oppositions non moins limitatives homme/animal et sauvage/domestique.
    Chez les médiévistes, l’intérêt pour l’animal est somme toute récent, et la percée pionnière de Robert Delort ouvrant largement la route à l’histoire des animaux dans les années 1980, au-delà de la période médiévale, n’a pas excité immédiatement la recherche. Encore un temps, le sujet a relevé de la « petite histoire », futile, un brin cocasse, mais aussi positivement vaine en raison de la documentation écrite disponible. Les spécialistes de la littérature médiévale et les historiens des religions y ont d’abord trouvé davantage d’inspiration. Car l’animal peuple d’abord les sources spirituelles et littéraires. Avant le XIVe siècle, les documents de la pratique doivent être patiemment sondés pour révéler des données finalement utiles. Quant aux encyclopédistes, d’Isidore de Séville à Vincent de Beauvais, ils forment la chaîne du savoir des anciens, modifiant peu à peu une symbolique animale en phase avec leur temps. Pour une bonne partie du Moyen Âge, l’histoire naturelle est religieuse, morale et circonscrite à un corpus d’éléments du vivant résumé dans les bestiaires et les herbiers. De fait, l’historien s’est trouvé d’abord devant un « animal exemplaire » (D. Sperber).
    Plus récemment, l’historiographie a lié « histoire et littérature, vie des hommes et perception de la nature, vie sociale et vie morale » (J. Berlioz, A.-M. Polo de Beaulieu). La collaboration est de plus en plus fréquente, parce que nécessaire, entre les chercheurs venus d’horizons scientifiques différents (anthropologues, linguistes, zoologues, archéologues). La transdisciplinarité et la transdocumentarité sont indispensables car l’animal au Moyen Âge touche à tous les grands dossiers de l‘histoire sociale, économique, matérielle, culturelle, religieuse et symbolique. Les médiévistes, sans doute habitués à croiser les sources diverses et morcelées, et à convoquer dans leur démarche d’autres disciplines, ont joué un rôle principal dans cette attention portée à l’animal. Et si les monographies ne sont pas légion, la bibliographie s’avère déjà abondante, tant dans la littérature historique (J. Voisenet, J.-E. Salisbury) qu’archéologique (F. Audoin-Rouzeau).
    Cette historiographie renouvelée a permis de constater que les animaux envahissent littéralement l’univers médiéval : textes et images, anthroponymie, folklore, jurons, chansons. En Occident surtout, aucune autre époque ne les a si fréquemment mis en scène. Deux courants de pensée apparemment contradictoires traversent la documentation. Le premier, dominant dans la littérature ecclésiastique, oppose l’homme à l’animal, créature soumise et imparfaite, et conduit à une position radicale, imposant la distance avec lui, depuis la méfiance vis à vis d’une trop grande familiarité jusqu’aux condamnations pour pratique de sorcellerie et de bestialité. Le deuxième courant, plus discret, est l’idée d’une communauté d’êtres vivants entre les hommes et les animaux. Cette pensée aristotélicienne, ravivée au XIIIe siècle, proche d’une vision chrétienne visible dès certains récits hagiographiques puis dans la spiritualité de François d‘Assise, conduit des prélats en Sorbonne à s’interroger sur le devenir des bêtes après leur mort et sur leur niveau de responsabilité morale ici-bas. Ces questions expliquent la multiplication des procès d’animaux, des dernières décennies du XIIIe siècle à la fin de la période (M. Pastoureau). Auparavant, les hommes d’Église interviennent par exorcisme ou rogationes pour punir ou tenir à l’écart les animaux sauvage ou domestiques, coupables de dégradation sur les récoltes ou d’homicide (E. Anti, G. Ortalli).
    La zoologie médiévale doit être approchée avec le relativisme culturel idoine et une méthodologie critique rigoureuse de la documentation, du lexique (générique et spécifique) et de son évolution. Dès lors, on saisit mieux la perception des gens du Moyen Âge, leurs attitudes devant telle ou telle espèce, leur peur et aussi leur réelle, bien qu’empirique, connaissance des animaux terrestres et aquatiques, en tout cas de l’intérêt qu’ils leur portent. Les animaux fabuleux participent positivement au règne animal médiéval : le dragon existe et il est craint ; le lion chasse dans les forêts d’Europe, tandis que l’« exemplaire » lupus rapax n’a pas encore acquis son statut de fauve de l’Occident (F. Guizard). Le Moyen Âge tire sa connaissance des animaux d’un petit nombre de textes dont le Physiologus, composé en grec au IIe siècle après J.-C., et traduit en latin au IVe siècle, attribuant une valeur symbolique chrétienne à 48 ou 49 animaux. Cette liste, complétée par des encyclopédistes du premier Moyen Âge, sert de base à l’inventaire savant de la faune médiévale. Car les œuvres consacrées aux animaux sont d’abord des bestiaires destinés à l’édification des chrétiens, dans lesquels les considérations morales l’emportent sur la description de la nature. Il faut attendre le XIIIe siècle pour que la redécouverte des œuvres d’Aristote débouche sur une approche plus réaliste du monde animal. Simultanément, la littérature continue de populariser, en élargissant l’auditoire, les animaux anthropomorphisés dans des récits comiques et satiriques sur le modèle des fables ésopiques : le veau captif de l’Ecbasis (Xe siècle), Ysengrin le loup et Renard le goupil (XIIe-XIIIe s.) ou encore l’âne Fauvel (XIVe).
    L’animal « reconnu » dans les sources n’est pas que symbolique, il est aussi celui que l’on mange, celui qui rend service (travail agricole, gardiennage, production artisanale…) ; celui que l’on pêche ou chasse pour se nourrir, et nourrir les autres dans l’échange ritualisé du don et du contre-don ; mais aussi celui que l’on exhibe. La possession de parcs à gibier ou de ménageries montre autant la « bête » que le pouvoir de son possesseur. Les animaux empaillés ou « bouillis en huile » conservés dans les trésors laïcs et ecclésiastiques préfigurent les cabinets de curiosités de l’époque moderne, mais conservent un sens propre à la zoologie médiévale.
    Malgré ces acquis, l’histoire médiévale de l’animal reste à faire, qu’elle soit monospécifique (chien, cheval, loup…) ou thématique (zootechnies, évolution de peuplement faunistique…). Quelle que soit l’épistémologie adoptée, l’histoire des animaux conserve une dimension sociologique, car elle traite autant de l’évolution de l’espèce que des relations avec les hommes. Les représentations mentales lues chez les érudits diffèrent de l’approche technique de l’homme quotidien. Toutefois la zoologie historique, ou archéozoologie, est soutenue désormais par des disciplines scientifiques qui permettent de porter davantage l’attention sur l’animal tel qu’en lui-même, son mode de vie, l’évolution des caractéristiques de sa morphologie et de son éthologie (domestication, élevage, prédation, et autres facteurs anthropiques) (C. Beck-E. Fabre). L’étude de l’animal passe également par l’étude de son milieu et des transformations liées aux aménagements humains. Elle entre dans l’histoire de la diversité biologique, touchant autant la biocénose sauvage que les espèces domestiquées.


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  • Bibliographie

    Fabrice GUIZARD, 14 novembre 2013

    De l’usage des animaux

    - AUDOIN-ROUZEAU Frédérique, Hommes et animaux en Europe. Corpus de données archéozoologiques et historiques, Paris, 1993.
    - GUIZARD Fabrice, Les terres du sauvage dans le monde franc (IVe-IXe siècle), Rennes, 2009.
    - Le monde animal et ses représentations au Moyen Âge (XIe-XVe siècles), Toulouse, 1985.
    - PASTOUREAU Michel, « L’animal et l’historien du Moyen Âge », dans L’animal exemplaire au Moyen Âge, (Ve-XVe s.), J. Berlioz, A-M. Polo de Beaulieu dir., Rennes, 1999, p. 13-26.
    - SALISBURY Joyce.-E., The beast within. Animals in the Middle Ages, New York-Londres, 1994.
    - VOISENET Jacques, Bêtes et hommes dans le monde médiéval. Le bestiaire des clercs du Ve au XIIe s., Turnhout, 2000.


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