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  • De l’usage de l’archéologie en Histoire médiévale

    Danielle ARRIBET-DEROIN, 3 avril 2012 | 24 février 2012

    Danielle ARRIBET-DEROIN

    (Maître de conférences de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)


    La question peut paraître polémique, elle est provocatrice en tous cas dans sa formulation « de l’usage de… ». Elle rappelle de mauvais souvenirs (aux archéologues), ceux du temps où l’archéologie était rangée parmi les sciences auxiliaires de l’histoire, à côté de la diplomatique, de la paléographie et de la sigillographie. L’archéologie, dans ce sens, discipline d’érudition de spécialistes des objets, fournissait des « monuments » du passé (quelle que soit leur taille) que l’historien au mieux interprétait, et dont il se servait, surtout, pour illustrer son discours. Quant aux monuments de l’architecture médiévale, ils relevaient de l’histoire de l’art.
    Le Moyen Âge constitue un lieu singulier de la rencontre entre histoire et archéologie. D’un côté, la discipline archéologique a partie liée avec l’humanité depuis que celle-ci est apparue, car seule cette approche permet de connaître le passé des hommes avant l’écriture en collectant, identifiant, interprétant comme unique source de connaissance les vestiges matériels de leurs activités qui sont parvenus jusqu’à nous. Dans la tradition même de cette discipline, la question de la nature de la « source » de connaissance du passé reste prégnante, au moins dans les divisions académiques : selon que le passé est documenté ou non par des écrits, l’on distingue encore aujourd’hui une archéologie des périodes préhistoriques et une archéologie des périodes historiques, quand bien même deux « aires chrono-culturelles » seraient strictement contemporaines (par exemple l’Europe médiévale et l’Afrique médiévale). De l’autre côté, l’histoire médiévale, un des piliers de l’école historique française, période nécessitant une grande érudition et réputée difficile d’accès auprès des étudiants, conserve un enseignement très marqué par les exercices de la dissertation et du commentaire de documents le plus souvent écrits. Ces exercices sont produits notamment à l’occasion du « chef-d’œuvre » que demeure l’agrégation pour l’historien médiéviste. Cette histoire conserve une tradition très littéraire, même dans les développements les plus récents de la discipline.
    Le Moyen Âge dans sa partie la plus ancienne est une période où l’archéologie a toujours été légitime : les antiquités mérovingiennes étaient tout naturellement accueillies au musée des antiquités nationales (aujourd’hui musée d’archéologie nationale) de Saint-Germain-en-Laye. L’écrit y était largement déficient, les tombes de défunts plus ou moins prestigieux fournissaient de nombreux et beaux objets. Ensuite, l’histoire prenait le relais.
    Une nouvelle donne est apparue depuis que l’archéologie médiévale s’est véritablement développée en France, c’est-à-dire après la seconde guerre mondiale. Les pionniers en la matière étaient des historiens de formation, ainsi Michel de Boüard ou Jean-Marie Pesez : l’archéologie médiévale est en France une extension de l’histoire médiévale et non de l’archéologie classique. Heureuse période où certains historiens médiévistes, avec l’enthousiasme des néophytes, se tournaient vers les documents archéologiques, dont l’abondance restait largement à explorer contrairement à la finitude des documents écrits, et qui renseignaient sur des problèmes que les écrits ne documentaient pas de manière satisfaisante. L’archéologie paraissait apte à renouveler largement le discours historique.
    Aujourd’hui, un écart s’est creusé entre historiens et archéologues médiévistes. Au moins ne s’est-il pas comblé. Il est dû à des différences de conception des disciplines, de pratiques (qui se sont complexifiées) et de formation des spécialistes, ces trois aspects interagissant les uns avec les autres. Car celui ou celle qui passe du temps sur le terrain, qui traite les données d’une fouille n’est pas de plain-pied avec celui ou celle qui exploite les archives, n’est pas pétri des mêmes humanités.
    Dans quelle mesure la définition de l’histoire et celle de l’archéologie autorisent-elles le dialogue d’égal à égal, ou un discours commun, ou l’intégration d’une discipline dans l’autre ? Leurs objets sont-ils identiques ? Ces questions seront explorées sans reprendre de manière fondamentale la définition des deux disciplines sous l’angle de l’épistémologie.
    Alors que les archéologues formés pour la période médiévale multipliaient les études notamment dans le cadre de l’archéologie préventive, les questionnements classiques de l’histoire commençaient à leur apparaître comme des vêtements étroits et inappropriés. Ainsi, du point de vue spatial (voir « de l’usage de l’espace… »), l’archéologie peinait à caractériser sur le terrain l’incastellamento, à épouser la vision traditionnelle de la « naissance du village », à faire coïncider l’habitat d’élite avec la motte ou le château. Certains archéologues en sont venus à refuser de rechercher sur le terrain les structures et habitats nommés dans les textes et ne veulent pas se laisser guider par les problématiques issues des sources écrites. Ils ont revendiqué l’élaboration d’un discours autre que celui de l’histoire textuelle. Dans cette logique, le mot même de « complémentarité » des sources semble être devenu pour eux un gros mot, même quand l’objet d’étude est identique.
    Dans le même temps, l’ouverture vers une archéologie des périodes plus récentes et détachée de l’histoire dans ses buts, ainsi que le proposaient les promoteurs de la revue Ramage, posait la question des bornes et de la définition de l’archéologie, et ceci de manière plus cruciale : car si l’historien médiéviste sait que l’archéologie existe et pense parfois qu’elle a un intérêt pour sa propre recherche, le moderniste ne le sait pas (encore).
    En choisissant de ne pas s’aventurer plus avant dans le monde de l’épistémologie et de se placer du côté de l’« histoire » comme on y est invité par le propos : « de l’usage de… », la question fondamentale est de savoir si la discipline historique doit s’intéresser ou non à l’aspect concret et matériel de la vie des hommes du Moyen Âge.
    Poser la question, n’est-ce pas déjà y répondre ? À la base même des choses, on trouve les contraintes en terme de vitesse de déplacement, de diffusion de l’information, de travail de nuit, la soumission des corps à des empêchements et des dangers aujourd’hui moins menaçants et, pour la vie intellectuelle, l’accès au parchemin ou au papier, le recours métaphorique à un environnement familier dans l’élaboration des discours, etc.
    Plus fondamentalement, on peut penser que les capacités de l’être humain à organiser le monde matériel qui forme son cadre de sa vie sont dignes d’être étudiées : utilisation des ressources de l’environnement, organisation de l’espace, construction de l’habitat, fabrication des objets et des outils, activités qui répondent à des besoins organiques et qui accompagnent une certaine conception des relations des hommes entre eux et avec l’au-delà. Et ces manières d’être dans le monde matériel imprègnent les mentalités et l’appréhension du monde.
    Si les problèmes politiques, économiques, sociaux, religieux, intellectuels se lisent aussi dans la matérialité des choses, si la capacité « technique » est reconnue comme une capacité humaine par excellence, si l’homme et la femme médiévaux qu’étudient les historiens sont des humains incarnés, alors l’ « archéologie » est un partenaire privilégié de l’ « histoire » au sein de la médiévistique. Plus qu’un partenaire, une composante que nul médiéviste ne saurait ignorer.


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  • Bibliographie

    Danielle ARRIBET-DEROIN, 24 février 2012

    De l’usage de l’archéologie

    - BOÜARD Michel de, Manuel d’archéologie médiévale, Paris, SEDES, 1975.
    - BRUNEAU Philippe et BALUT Pierre-Yves, « Positions », Ramage, 1 (1982), p. 3-33.
    - BURNOUF Joëlle, ARRIBET-DEROIN Danielle, DESACHY Bruno, JOURNOT Florence et NISSEN-JAUBERT Anne, Manuel d’archéologie médiévale et moderne, Paris, Colin, 2009.
    - CARTRON Isabelle et BOURGEOIS Luc, « Archéologie et histoire du Moyen Âge en France : du dialogue entre disciplines aux pratiques universitaires », dans Être historien du Moyen Âge au XXIe siècle, Actes du 38e congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, Île de France 2007, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, p.133-148.
    - PESEZ Jean-Marie, « Archéologues et historiens », dans Mélanges d’archéologie et d’histoire médiévale en l’honneur du Doyen Michel de Boüard, Genève-Paris, Droz, 1982, p. 295-308.


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