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... communications /Communication

  • De l’usage des communications/de la communication en histoire médiévale

    NOTE : English translation is in progress 

    Martin GRAVEL , 23 octobre 2015

    Martin GRAVEL

    Maître de conférences en Histoire médiévale à l’université Paris 8 (Vincennes - Saint-Denis)


    De quoi est-il question, lorsque les historiens médiévistes parlent de communication ? Il y a peu, dans les publications en français, le concept, employé au pluriel, désignait surtout les transports, les voies du commerce et des armées, dans un cadre économique (Olivier Bruand, 2002), sinon stratégique. Sous l’influence d’une définition plus large pratiquée en anglais, cet usage se perd et on aboutit désormais à une signification très ouverte. Pour s’en faire une idée, il suffit de consulter la bibliographie sur le sujet publiée par Marco Mostert. Elle regroupe près de 7000 titres, répartis en seize sections thématiques. Les pratiques de l’écriture dominent l’ensemble, mais elles laissent une place appréciable aux interactions non verbales, aux rituels, à l’oralité. Si bien que la plupart de ses références renvoient à des travaux qui n’ont pas besoin du concept de communication pour se définir (littérature, linguistique, etc.). Au-delà de l’ouïe et de la vue, même l’odorat, le toucher et le goût y sont abordés. Cette approche aide l’historien à ajuster sa sensibilité aux pratiques qui précèdent l’imprimerie, le télégraphe et le dernier iPhone, car, au Moyen Âge, la rencontre est au cœur des systèmes de communication et elle engage les cinq sens. En somme, toute interaction, tout ce qui fait le tissu social se conçoit chez M. Mostert comme acte de communication.
    La consultation des moteurs de recherche bibliographique confirme cette orientation. Les ouvrages collectifs récents suggèrent que la/les communication(s) fait/font la société. Ainsi défini, le concept est très efficace pour fédérer de vastes projets. L’étude des communications touche aujourd’hui à la rumeur, au cri, à l’opinion, à l’espace public, aux ambassades, aux voyages... Par exemple, la nouvelle diplomatique s’intéresse à la transmission, à la réception et à l’utilisation des chartes, dépassant son champ traditionnel, du côté de la production et de la conservation. Dans ce foisonnement, il ne semble plus absurde de parler de médias pour le Moyen Âge, voire de médias de masse. Conçu comme tel, le concept pose aussi problème. Si, dans la vie sociale, tout est communication, alors, dans le champ de l’histoire, le concept ne désigne rien de particulier. Défini de façon aussi large, il ne sert qu’à suggérer des rapprochements et franchir à rebours la barrière technologique qui nous sépare du Moyen Âge. Il faut le préciser pour en faire la charpente d’une enquête ciblée. Pour y arriver, il est possible de l’aborder comme concept endogène ou allogène à la culture médiévale. Les deux approches donnent des résultats utiles.
    Dans sa thèse d’habilitation (2009), Joseph Morsel s’est penché sur le sens du mot communicatio, en le replaçant dans son cadre textuel et conceptuel médiéval. Ce faisant, il donne à lire une analyse terminologique ancrée dans la période même, et donc représentative de l’historiographie germanophone. Ainsi, Martin Kintzinger avait montré que la communication proprement médiévale doit être conçue comme communion, comme mise en relation, comme formation de la communauté dans la caritas (1998). Dans la même logique, du point de vue documentaire d’un regeste épistolaire nurembergeois, J. Morsel révèle que la lettre se présente d’abord dans sa fonction relationnelle, plutôt qu’informative, et que les relations qu’elle affirme dans ce cas sont celles de la domination, donc de la distance sociale (résultats comparables : Gravel, 2012).
    Lorsqu’elle est ancrée dans les usages et les perceptions des acteurs historiques, l’étude des concepts ne peut donner de mauvais résultats. Inversement, l’application de concepts contemporains aux périodes anciennes présente des risques. Depuis les débuts de l’ère électronique, il semble naturel d’aborder la communication comme l’ensemble des procédés de transmission de l’information d’un émetteur à un récepteur par un canal, en considérant les limitations de ce canal et les distorsions qu’elles entraînent. Ce développement s’inspire de la théorie cybernétique développée pour servir à la téléphonie. Approcher sous cet angle les communications au Moyen Âge mène généralement à des études descriptives qui suggèrent qu’entre la vie des médiévaux et aujourd’hui, les différences se mesurent dans la quantité et la qualité de l’information. L’histoire des communications se résume alors à l’étude de l’évolution des flux, donc à leur accélération et à leur extension suivant les progrès technologiques et institutionnels. Elle tend vers la téléologie et occulte l’histoire plus qu’elle la révèle. Cela ne veut pas dire qu’elle soit toujours mal adaptée : n’a-t-il pas fallu récemment réinvestir la question du mouvement des textes aristotéliciens, du monde musulman vers l’Occident ? À la base de l’affaire « Mont Saint-Michel », il y a bien un problème d’histoire des communications, saisissable en partie par la cybernétique puisqu’il s’agit de suivre des mouvements d’information. Nonobstant ce contre-exemple, dans beaucoup d’autres cas, cette approche pousse à une simplification excessive des objets d’étude.
    La philosophie serait-elle d’un meilleur secours pour échafauder des concepts ? Il est permis d’en douter. Lorsqu’elle se nourrit de phénoménologie, elle construit des modèles dont les axiomes sont éloignés des réalités empiriques et peu adaptés aux variations historiques. Leurs concepts s’assèchent vite en dehors de l’aquarium de l’abstraction (contra : Volker Depkat, 2003). De là à croire que les efforts de définition allogène du concept de communication ne peuvent pas constituer de bons outils, il y a un pas de trop. D’ailleurs, les premières critiques de l’application de la théorie cybernétique aux sciences sociales sont venues d’une autre approche théorique, dont les résultats ne contredisent pas ceux de l’approche endogène.
    Dans les années cinquante, autour de la revue Explorations : Studies in Culture and Communication, des chercheurs de différents horizons ont collaboré à fonder une école dont l’originalité tient dans sa focalisation sur les médias, plutôt que sur les contenus de la communication. Refusant de les concevoir comme de simples véhicules, elle propose de considérer les médias pour leurs effets. Cette nouvelle approche a été résumée par Marshall McLuhan dans un aphorisme célèbre : « le médium est le message ». Voilà l’une des idées déterminantes des sciences sociales, comparable à la question de Marcel Mauss, « quelle force y a-t-il dans la chose qu’on donne » ? L’une et l’autre participent du même genre de déplacement conceptuel : le don n’est pas simplement transféré du donateur au receveur ; le message n’est pas simplement médiatisé de l’émetteur au récepteur. Quelles sont les conséquences relationnelles du don ? Quels sont les effets sociaux et psychologiques des médias ? Il est regrettable que cette deuxième question n’ait pas reçu l’attention qu’elle mérite ; les extravagances de McLuhan en ont découragé plusieurs.
    En s’intéressant davantage aux effets médiatiques, l’historien peut préciser son utilisation du concept de communication. Alors, pour éviter les risques propres à l’adoption d’un concept étranger à la société médiévale, il faut tenir compte des conditions concrètes, des pratiques. Une possibilité pourrait être de considérer la communication sur trois axes : l’espace, le temps et le divin. Elle désignerait l’ensemble des activités qui visaient à vaincre la distance sur l’un de ces trois axes, qu’il s’agisse d’écrire à un ami éloigné, de renseigner les générations futures ou de fléchir la colère de Dieu par l’intercession d’un saint. C’était déjà l’idée d’Harold Innis, un pionnier en la matière. La distance est la clef notionnelle qui permet de préciser le concept. Lorsqu’elle cause l’absence des acteurs l’un à l’autre, que ce soit dans l’espace, le temps ou l’au-delà, il devient possible de parler de communication.
    S’il précise le concept en réduisant son champ d’application aux interactions à distance, en incluant celles que l’on considère aujourd’hui du domaine de l’imaginaire, l’historien peut parler de communication sans risque excessif d’anachronisme. Les éloignements de la géographie, des siècles et des sphères sont des obstacles avec lesquels les hommes du Moyen Âge ont dû composer, bien qu’ils n’utilisassent pas de mots comme « médias » ou « communication ». Sans ce genre d’effort de définition contextualisée, la communication ne peut être plus qu’un catalyseur secondaire de la pensée historienne. Dans son sens le plus large, le concept stimule la réflexion sans la structurer. Au mieux, il rappelle que les sociétés ne se trouvent pas dans leurs institutions, leurs réseaux ou leurs textes, mais dans les interactions qui les réalisent. On ne saurait demander plus à un concept trop vaste.


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  • Bibliographie

    NOTE : English translation is in progress 

    Martin GRAVEL , 21 octobre 2015

    De l’usage des communications/de la communication

    - Convaincre et persuader : communication et propagande aux XIIe et XIIIe siècles, Martin Aurell dir., Poitiers, Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, 2007 (Civilisation médiévale, 18).
    - L’espace public au Moyen Âge. Débats autour de Jürgen Habermas, Patrick Boucheron et Nicolas et Offenstadt dir., Paris, Presses universitaires de France, 2011.
    - GRAVEL Martin, Distances, rencontres, communications. Réaliser l’Empire sous Charlemagne et Louis le Pieux,Turnhout, Brepols, 2012 (Haut Moyen Âge, 15).
    - Haro ! Noël ! Oyé ! Pratiques du cri au Moyen Âge, Didier Lett et Nicolas et Offenstadt dir., Paris, Publications de la Sorbonne, 2003 (Histoire ancienne et médiévale, 75).
    - MOSTERT Marco, A Bibliography of Works on Medieval Communication, Turnhout, Brepols, 2012 (Utrecht Studies in Medieval Literacy, 2).
    - NADRIGNY Xavier, Information et opinion publique à Toulouse à la fin du Moyen Âge,Paris, École des chartes, 2013 (Mémoires et documents de l’École
    des chartes, 94).
    - La rumeur au Moyen Âge, du mépris à la manipulation (Ve-XVe siècle), Maïté Billoré et Myriam Soria dir., Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.


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