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... couleur

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  • De l’usage de(s) couleur, couleurs en Histoire médiévale

    Esther DEHOUX, 21 janvier 2015 | 17 septembre 2012

    Esther DEHOUX
    Maître de conférences en histoire médiévale Université de Lille 3


    « Vain, futile, voire ridicule ou réactionnaire ». En retenant ces qualificatifs, Michel Pastoureau visait à caractériser l’avis qui prévalait, dans les années 1960-1970, sur les études portant sur la couleur, déclinée au singulier comme au pluriel. La lecture de ses travaux s’impose aujourd’hui pour toute enquête sur la couleur et les couleurs. Elle ne doit pas faire oublier les obstacles et les difficultés qui ont précédé la reconnaissance de leur intérêt par la communauté scientifique. Le contexte, peu favorable malgré le développement de l’anthropologie historique autour de Jacques Le Goff, justifiait le parti-pris de Michel Pastoureau, celui d’une analyse des « pratiques sociales de la couleur » et d’une attention portée au vêtement et aux armoiries. Ces deux directions de recherche l’ont conduit à s’intéresser plus particulièrement à la question des codes chromatiques, aux teintures, aux règlements édictés par les autorités laïques ou ecclésiales, aux émaux et aux meubles héraldiques pour en apprécier la fréquence, la combinaison et la diffusion selon les époques, les régions ou les catégories sociales. Au sein de ces approches variées, le choix d’accorder une grande attention à l’héraldique, « élément syntaxique rigoureux et performant » d’autant plus précieux qu’il ignore les nuances, les réactions chimiques et les effets du temps, a eu une importance particulière. Il a été essentiel en ce qu’il a permis de déterminer un cadre précis afin de poser des bases solides, fondées sur l’étude du vocabulaire, indispensables à la reconnaissance de l’utilité des travaux sur la couleur et les couleurs. Mais il a aussi relevé d’une stratégie pleinement assumée d’évitement, en contournant les problèmes liés à la diversité et à l’instabilité des définitions chimiques ou physiques de la couleur.
    Dépasser les limites des enquêtes entreprises et nuancer des conclusions suggestives, mais parfois trop systématiques, sont les principaux objectifs des recherches actuelles sur la couleur et les couleurs au Moyen Âge. Trois axes essentiels se dégagent.
    Le premier est lié à la multiplication des études historiques fondées sur des sources iconographiques, en particulier celles qu’offrent les « arts de la couleur » (enluminure, peintures murales, vitrail, émaillerie, tapisserie). Il ouvre des perspectives stimulantes sans être à l’abri de quelques écueils. Parmi ceux-ci, une focalisation sur les seules images conduisant à se priver des apports des sources écrites et des interrogations qui, nées du croisement voire de la confrontation des informations, alimentent la réflexion et en élargissent les horizons. Autre danger : une attention aux formes et aux configurations qui, si importante soit-elle, pourrait se révéler exclusive et empêcher, de facto, une véritable prise en compte de la couleur et de son rôle, dans les analyses de séries construites ou d’ensembles donnés.
    La deuxième dynamique doit être portée à l’actif des historiens de l’art, des historiens des techniques et des archéologues. Elle tient au soin avec lequel ceux-ci étudient les recettes de couleurs, les colorants du verre, les pigments des peintures, mais également à leur souci d’intégrer leurs enquêtes dans une perspective plus large. Sans négliger la dimension économique et commerciale de la couleur, cette dernière vise davantage à restituer les « ambiances lumineuses et colorées » du Moyen Âge par une prise en compte de la « coloration de la pierre », des « qualités des verres », des « longueurs d’ondes des couleurs des peintures ou des mosaïques », de l’action de la lumière, y compris celle des luminaires (Catherine Vincent), trop souvent oubliés. Conduits, entre autres, par Nicolas Reveyron et Patrick Callet, ces travaux offrent au médiéviste les apports de la « réalité augmentée » (restitution de la polychromie des cathédrales ou de celle de l’abbatiale de Cluny III par exemple) et, avec eux, la possibilité d’appréhender l’« ambiance colorée » au sein de laquelle se meut l’homme qu’il étudie, et, ainsi, d’affiner voire amender sa connaissance de la société médiévale.
    La troisième facette, exploitée notamment par Laurent Hablot, porte sur les usages des armoiries et leur fonction structurante de la société comme de l’espace. L’accent est mis sur leur partage entre membres d’une même famille, leur présence sur les vêtements des hommes du prince, des saints que celui-ci honore, voire des héros de la littérature qu’il admire et auxquels il s’identifierait volontiers. On les retrouve aussi en des lieux qu’il fréquente ou contrôle, entendant ainsi manifester son autorité.
    Le dynamisme des recherches et les ouvertures que celles-ci proposent ne doivent toutefois pas nourrir un enthousiasme béat. Ils ne font pas oublier les difficultés d’accès aux documents originaux et d’obtention de reproductions qui soient de bonne qualité et en couleurs. Ils ne permettent pas plus d’occulter le sous-titre – « Pour une histoire des emblèmes et des couleurs » – ajouté par Michel Pastoureau à son introduction au colloque Signes et couleurs des identités politiques. La tenue de cette manifestation pouvait avoir l’allure d’une consécration. La précision apportée n’en relevait pas moins du plaidoyer. Elle est l’expression d’une conviction, celle d’avoir parcouru un long chemin sans avoir atteint tous les buts. Parmi ceux-ci, on pourrait citer par exemple la reconnaissance de l’étude des drapeaux ou vexillologie. Cette discipline fait, avec raison, peur au chercheur « parce que, comme naguère, l’attachement que certains portent [au drapeau] peut encore donner lieu à toutes les appropriations partisanes, à tous les usages détournés, à toutes les passions, à toutes les dérives » (Michel Pastoureau). Une approche résolument interdisciplinaire pourrait cependant limiter les risques inhérents à l’étude de domaines jusque-là délaissés par les chercheurs.
    De manière plus générale, il semble que la mobilisation croisée des compétences de spécialistes de différents champs constitue aujourd’hui l’un des principaux horizons susceptibles de faire progresser cet axe de recherche encore récent. Réunir des spécialistes de la littérature, de l’histoire, de l’art, du droit, de la théologie, de la liturgie et des archéologues permettrait d’élaborer la grille d’analyse de la couleur et des couleurs qui nous manque. Celle-ci pourrait contribuer à écarter autant les récupérations idéologiques que les interprétations « psychologisantes » ou « ésotérisantes ». Elle initierait aussi une nouvelle dynamique en suscitant d’autres questions et en renouvelant les approches. Elle conduirait, de fait, à aller au-delà des réunions qui cachent trop souvent leur dimension monodisciplinaire derrière un cadre chronologique et géographique élargi. Il s’agirait de développer les comparaisons et, en croisant les regards et les sources, d’affiner les analyses pour envisager des considérations plus globales.


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  • Bibliographie

    Esther DEHOUX, 14 septembre 2012 | 17 septembre 2012

    De l’usage de(s) couleur, couleurs

    - GAGE John, Couleur et culture. Usages et significations de la couleur de l’Antiquité à l’abstraction, Paris, Thames and Hudson, 2008 (trad. fr., version ang. 1993).
    - De verres et de pierres. La lumière dans l’architecture du Moyen Âge, colloque de Lyon (6-8 décembre 2011), sous presse. Résumés en ligne : http://colloquelumierelyon.wordpress.com/category/resume-des-communications/
    - La couleur et la pierre. Polychromie des portails gothiques, Denis Verret et Delphine Steyaert dir., Paris, Picard, 2002.
    - La couleur. Regards croisés sur la couleur du Moyen Âge au XXe siècle, Michel Pastoureau et Philippe Junod dir., Paris, Le Léopard d’or, 1994.
    - « Les couleurs au Moyen Âge », Sénéfiance, 24 (1988).
    - Signes et couleurs des identités politiques, Martin Aurell et alii dir., Rennes, PUR, 2008.


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