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... des débuts de l’Islam dans le secondaire

  • Nadine BAGGIONI-LOPEZ, 26 août 2016 | 19 septembre 2013

    Nadine BAGGIONI-LOPEZ

    (Professeur agrégé Collège Mignet, Aix-en-Provence)


    Les programmes de collèges édités en 2008 ont radicalement changé l’étude des commencements des religions contemporaines, judaïsme, christianisme et islam. Ayant consommé la coupure entre le récit de l’historien et le discours que les religions ont sur elles-mêmes, ils proposent de contextualiser, c’est-à-dire de replacer le fait historique au sein de sociétés et de contextes historiques donnés. Cette sortie de l’histoire providentielle s’accompagne de l’étude des religions comme des réalités plastiques et non comme des objets intangibles. Il s’agit de faire de l’Histoire et non de la paraphrase des textes sacrés. Ces derniers deviennent eux-mêmes sujet d’histoire, donc soumis à la critique, étudiés au même titre que toutes les autres sources, textuelles, archéologiques, épigraphiques ou autres.
    Mais alors que les programmes de 5e situent clairement le propos (« L’étude commence par la contextualisation des débuts de l’islam. Elle est fondée sur des sources historiques, le récit d’un événement (la conquête de la Palestine—Syrie, de l’Égypte...) ou d’un personnage »), leur concrétisation dans les manuels scolaires reste jusqu’ici plus traditionnelle : après des documents présentant la conquête de la Syrie-Palestine et les textes fondateurs de l’islam (Coran, Hadith, Sîra), la première leçon porte immanquablement sur le récit de la vie de Mahomet présenté comme fondateur d’une nouvelle religion. Seule l’apparition providentielle de l’ange a disparu par rapport aux manuels précédents (programmes de 1996 et antérieurs). Il va sans dire que cette présentation, à nos yeux, n’est pas satisfaisante : non seulement elle ne suit pas les attendus du programme qui recommandent de suivre d’abord les sources et de les contextualiser, mais surtout ce récit hagiographique est aujourd’hui largement remis en cause par les avancées de la recherche historique qui place la création de l’islam dans le temps long, en contact avec les civilisations millénaires du Croissant fertile et les empires romains et perses. Le personnage de Mohamed, dont l’historicité n’est pas remise en question, est d’abord un personnage de papier, c’est-à-dire que la seule façon que nous avons de l’appréhender est celle de récits tardifs dont le but n’est pas la biographie mais l’édification. L’islam, religion de l’Etat, celle des conquérants et celle de leur chef, le calife (en arabe Khalifa rasûl Allâh/le successeur du prophète de Dieu), s’impose lentement dans des sociétés dont les modes de fonctionnement ne sont pas de prime abord bouleversés et où les non musulmans demeurent longtemps majoritaires.
    Dans ce cadre historiographique, comment continuer à enseigner les débuts de l’islam via des sources qui sont marquées par le sacré et en évitant le récit hagiographique de son fondateur, forcément biaisé ? Comment étudier les récits des commencements, non pas à la lettre et pour ce qu’ils disent, mais pour les intentions de ceux qui les écrivent ? Il faut d’abord contextualiser avec les élèves la rédaction de ces textes. Il faut resituer dans le temps et dans l’espace ces débuts de l’islam en les reliant aux sources auxquelles il puise, cette première époque, du VIIe au Xe siècle, cette création lente d’une culture, d’une civilisation et donc d’une religion, qui sont le reflet d’une société et d’un type de pouvoir. Nous proposons donc de nous appuyer sur un ensemble de documents et d’exercices créés à cette fin. Ils sont de deux types : une carte et une chronologie d’une part, et des études de cas basées sur des documents du VIIe au Xe siècle d’autre part.
    Les cartes et la chronologie permettent de contextualiser et de saisir l’ampleur et la rapidité des conquêtes, de situer l’empire par rapport aux autres empires, et de de localiser les capitales. Les études de cas portent sur la mosquée de Damas et sur l’épisode du Mi’raj. Elles permettent de saisir le projet impérial en lien avec la naissance de l’islam et la construction idéologique du personnage Mohamed, prophète de l’islam et fondateur de l’empire arabo-musulman. Dans l’étude de la mosquée de Damas, les élèves doivent croiser les types de documents (textes, plans, photographies) et comparer les formes architecturales (romaine, paléochrétienne, musulmane). Pour l’étude du Mi’raj, les élèves ont différents types de documents produits à différentes époques, du VIIe au XVIe siècle : la sourate XVII du Coran, le récit du Mi’raj dans la Sîra, une photographie de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem et une miniature persane. Ils doivent situer les documents dans la chronologie de l’islam au Moyen-Age et dégager les projets idéologiques de leur production. L’évaluation propose l’étude des monnayages omeyyades avant et après la réforme de ‘Abd el-Malik : les élèves doivent décrire les deux pièces, l’évolution des styles iconographiques et en dégager des conclusions quant au projet politique du pouvoir qui les émet et ses sources d’inspiration lors de cette période clef, le califat omeyyade de Damas.
    Cette approche des débuts peut dérouter. Elle évacue le récit traditionnel et confortable de la Révélation pour se pencher sur la complexité et la lenteur du processus. Or le récit positiviste liant la naissance de l’islam à son prophète, et le fait que l’on puisse écrire une biographie objective de Mohamed font partie des lieux communs admis par un très large public y compris par ceux qui s’inscrivent dans une démarche polémique. À titre d’exemple, la bande dessinée biographique La Vie de Mahomet publiée par Charlie Hebdo, « concoctée à partir de textes de chroniqueurs musulmans », se veut « un récit minutieux basé sur une bibliographie rigoureuse », « une biographie autorisée par l’islam puisqu’elle a été rédigée par des musulmans » (Libération, 30 décembre 2012). Une fois encore il s’agira d’une paraphrase de chroniqueurs tardifs, qui ne dégage ni les aspects mythiques, ni les aspects idéologiques de leurs récits. La seule garantie est finalement… qu’ils soient musulmans ? La méthode que nous proposons évacue ce genre de démarche. Le choix du Mi’raj , épisode mythique de la vie de Mohamed, construit entre le VIIe et le XIIe siècles, veut engager les élèves dans une méthode d’historien : contextualiser, critiquer et croiser les sources. En écartant le récit positiviste, ce sont aussi les approches essentialistes que nous rejetons, celles pour lesquelles les religions sont intangibles, moulées dans le récit providentialiste qu’elles ont de leurs propres origines : c’est arrivé, c’est obligatoire, c’est écrit. C’est donc à double titre que ce virage dans l’étude des débuts est important dans l’enseignement : l’enseignant est spécialiste d’une discipline – l’histoire, mais c’est aussi un éducateur à la complexité. Faire saisir aux élèves la complexité des phénomènes, même religieux, leur plasticité, leur permet de penser la complexité du monde qui les entoure et de décoder les discours que les religions ou les idéologies se tiennent sur elles-mêmes.
    Une telle démarche permet d’aborder l’histoire d’une religion et des hommes qui l’ont portée de manière dépassionnée. Je n’ai d’ailleurs, en la mettant en œuvre, jamais été confronté à une quelconque réticence de leur part.


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