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  • De l’usage du formulaire en Histoire médiévale

    Arnaud-Vivien FOSSIER , 2 novembre 2015

    Arnaud-Vivien FOSSIER

    Maître de conférences en histoire médiévale à l’Université de Bourgogne


    Si l’on s’en tient au Lexique du latin médiéval de Niermeyer, le mot formularius ou formularium désigne, entre 550 et 1150, le « recueil de formules », entendues comme des actes ou des extraits d’actes à teneur juridique, voués à être recopiés par les praticiens du droit. Les diplomatistes français précisent qu’un formulaire est « le plus souvent constitué de documents réels mis bout à bout », qu’il est « destiné à la rédaction des actes, et, éventuellement, à la formation des rédacteurs » (O. Guyotjeannin, J. Picque et B.-M. Tock, Diplomatique médiévale, 1993, p. 230). Une définition homogène en est cependant d’autant plus délicate que, d’une part, la terminologie employée pour décrire de telles compilations varie d’une langue à une autre – les diplomatistes allemands entendent ainsi par « formulaire » non pas le recueil lui-même, mais un ensemble de « notes qui, sans être elles-mêmes un acte, c’est-à-dire sans revendiquer une valeur juridique, servent comme modèle pour l’établissement d’un acte » (H. Bresslau, Handbuch der Urkundenlehre für Deutschland und Italien, vol. 2/1, 1915, p. 225-226) – et que, d’autre part, la morphologie et l’usage des formulaires ont considérablement évolué tout au long du Moyen Âge. Par exemple, les formulaires mérovingiens et carolingiens, composés, à partir de la fin du VIe siècle, de modèles d’actes (transactions foncières, prêts, lettres de recommandation, etc.) et de serments anonymisés, sont les instruments par excellence de l’acculturation des scribes au droit, tandis que nombre de formulaires du XIIIe siècle sont fortement influencés par l’art épistolaire, la rhétorique et l’ars dictaminis.
    Dans le dernier tiers du XIXe siècle, la science des diplomatistes a prêté une attention toute particulière aux formulaires, conçus comme la matrice par excellence des diplômes ou des chartes. Mais en opposition à l’École méthodique, les générations suivantes, marquées par l’ascension des Annales, ont par la suite eu tendance en France à négliger cette documentation, jugée sans intérêt dans le cadre d’une histoire économique et sociale qui tendait naturellement à préférer les realia aux modèles intellectuels et aux formes anonymes. À la fin des années 1990, Robert Fossier résumait d’une phrase lapidaire : « Simples cadres qu’on rempli[t] ensuite, [les formulaires] n’apport[ent] de données que dans le seul domaine de la diplomatique. » (Sources de l’histoire économique et sociale du Moyen Âge occidental, 1999, p. 44). Parallèlement, le courant historiographique fondé sur la pragmatische Schriftlichkeit du Moyen Âge a pourtant suscité un regain d’intérêt à l’endroit des formulaires et en a même fait l’une des sources possibles d’un renouveau de l’histoire politique (« L’écriture pragmatique. Un concept d’histoire médiévale à l’échelle européenne », CEHTL, n° 5, Paris, LaMOP, 2012). Depuis une vingtaine d’années, les mutations concomitantes des pouvoirs et de la production documentaire, notamment aux XIIe-XIIIe siècles, constituent un champ de la médiévistique à part entière, consacré aux fondements et aux manifestations de ces écritures chevillées aux appareils de gouvernement (P. Chastang, « L’archéologie du texte médiéval, autour de travaux récents sur l’écrit au Moyen Âge », Annales HSS, 63/2, 2008, p. 245-270).
    Même si l’idée doit être aujourd’hui nuancée d’une « révolution documentaire » caractérisée par la multiplication des manuscrits, le développement du notariat, l’augmentation des actes de la pratique et le renforcement du souci de leur conservation, on constate que la majorité des organismes politiques européens, en premier lieu les chancelleries pontificale et impériale, se dotent de formulaires aux XIIe-XIIIe siècles – à l’exception de la chancellerie royale française dont les arts épistolaires ne seront formalisés, essentiellement en langue vernaculaire, qu’à la charnière des XIVe et XVe siècles. Il s’agit de normer et d’accélérer le travail de tous ceux qui, scribes ou notaires, juges ou officiers, sont confrontés à l’intensification des usages juridiques et archivistiques de l’écrit. Mais loin d’être ces textes inertes et figés encourageant le conformisme scripturaire, voire l’apathie cognitive, les compilations de modèles d’écriture s’inscrivent dans des réseaux socio-stylistiques fluides et témoignent, au fil de leurs usages et de leurs réécritures, de la créativité des scribes et notaires dont le travail en chancellerie masque trop souvent l’aptitude au changement ou le génie de la variation. En outre, les modèles d’actes ou de lettres ainsi compilés – sachant combien la frontière médiévale entre ces deux types documentaires peut être artificielle (G. Constable, Letters and letter-collections, 1976 ; O. Guyotjeannin, « Lettre ou titre ? Le modèle épistolaire dans les chancelleries médiévales », dans La lettre dans la littérature romane du Moyen Âge, 2008) – n’ont pas seulement une fonction stylistique consistant à répéter inlassablement un nombre restreint de formules auxquelles les scribes devront ensuite se conformer, mais indiquent aussi quelles sont les procédures à suivre et les règles de droit en vigueur.
    Par conséquent, les formulaires servent en premier lieu à renouveler une histoire du droit parfois confinée à l’étude de la doctrine ou de la législation. Reflets de la culture juridique des scribes, des notaires et autres praticiens, ils permettent de saisir le droit tel que celui-ci est connu et pratiqué au quotidien, loin des bancs de l’Université ; en même temps, ils invitent à réévaluer l’importance du droit savant dans la formation des États bureaucratiques en Europe. Deuxièmement, les formulaires encouragent l’histoire de l’administration au Moyen Âge, à condition bien sûr de partir de la multiplicité des usages qui pouvaient en être faits et de ne pas réduire leur signification aux besoins institutionnels auxquels ils étaient censés répondre. Ils sont parmi les principaux instruments des grandes comme des plus petites chancelleries – épiscopales, par exemple – et révèlent par conséquent quels en étaient le travail et le fonctionnement interne. Ils se situent au croisement d’une socio-histoire wébérienne de l’État et de l’anthropologie de l’écrit promue, notamment, par Jack Goody. Le troisième champ d’enquête ouvert par l’étude des formulaires est en effet celui des formes médiévales du langage et de l’écriture, que l’on pense à l’épistolarité, à l’ars dictaminis ou au développement de certains outils, scripturaires et cognitifs, comme le sommaire et l’index. Il s’agit dès lors d’en exhumer la littérarité, au travers notamment du style et de la rhétorique qui s’y déploient, mais aussi de voir ce que ces instruments administratifs et juridiques ont pu susciter de neuf dans l’histoire de l’écrit et de la littérature. On ne peut que souhaiter qu’à l’avenir, une histoire sociale, juridique, stylistique et politique des formulaires sur l’ensemble de la période médiévale soit tentée, d’autant que la cassure chronologique entre formules carolingiennes et modèles épistolaires du XIIe siècle, marqués par le dictamen et l’enseignement du droit à l’Université, reste largement terra incognita.


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  • Bibliographie

    Arnaud-Vivien FOSSIER , 2 novembre 2015

    De l’usage du formulaire...

    - Formulaire(Le) d’Odart Morchesne, dans la version du ms. BnF fr. 5024, O. Guyotjeannin et S. Lusignan (éd.), Paris, École des Chartes, 2005.
    - Formulaires (Les). Compilation et circulation des modèles d’actes dans l’Europe médiévale et moderne, Actes du XIIIe Congrès de la Commission internationale de diplomatique (3-4 sept. 2012), O. Guyotjeannin, L. Morelle et S. Scalfati (éd.),
    à paraître.
    - FOSSIER Arnaud, « L’exemple ou la norme. De l’art d’administrer la pénitence par formulaire (XIIIe-XVe siècles) », L’action normative des formes brèves, L. Giavarini et F. Martin (éd.), Rennes, PUR, à paraître en 2016.
    - GRÉVIN Benoît, Rhétorique du pouvoir médiéval. Les Lettres de Pierre de la Vigne et la formation du langage politique européen (XIIIe-XVe siècle), Rome, École Française de Rome, 2008 (B.E.F.A.R., 339).
    - JEANNIN Alexandre, « Formules et formulaires. Marculf et les praticiens du droit au premier Moyen Âge (Ve-Xe siècles) », thèse de droit de l’Université Jean Moulin – Lyon 3, sous la direction de C. Lauranson-Rosaz, 2007.
    - RIO Alice, « Les formulaires et la pratique de l’écrit dans les actes de la vie quotidienne (VIe-Xe siècle) », Médiévales, 56 (printemps 2009), p. 11-22.


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