Ménestrel

Médiévistes sur le net : sources, travaux et références en ligne

Navigation par mot-clé
Accueil > Editions Ménestrel > De l’usage de... > ... histoire religieuse

... histoire religieuse

  • De l’usage de l’Histoire religieuse en Histoire médiévale

    Marie-Anne POLO de BEAULIEU, 24 juillet 2014

    Marie-Anne POLO de BEAULIEU

    Directrice de recherches au CNRS-EHESS (GAHOM)


    La notion même d’« histoire religieuse » a été fortement remise en cause, ces dernières années, notamment par Jean-Claude Schmitt et Alain Guerreau. Ce dernier dénonce la coupure artificielle entre « histoire générale (politique, économique et sociale) » et « histoire religieuse » et rappelle utilement que la notion de religion implique, depuis le XIXe siècle, la liberté de conscience, le pluralisme des pratiques, le caractère individuel de l’adhésion à un groupe donné : autant de caractéristiques inconnues au Moyen Âge. La pratique et la notion d’« histoire religieuse » sont donc loin d’aller de soi en histoire médiévale, voire au-delà comme le montre l’abandon de l’adjectif « religieuse » accolé à « histoire » par l’équipe même qui s’est attelée à la rédaction de l’Histoire de la France religieuse (4 vol., 1988-1992), titre décliné sur le modèle de Histoire de la France urbaine parue chez le même éditeur. L’historiographie récente recourt de ce fait, dans le cadre de recherches sur les relations entre le religieux et le politique, au concept (encore assez flou) de « sacralité ».
    L’attention des médiévistes au champ religieux a connu de profonds changements depuis un siècle environ. Ils résultent, en premier lieu, de la nette laïcisation des historiens spécialisés dans ce domaine. La loi de 1905 a entraîné (sauf en Alsace) une coupure entre les facultés de théologie et les universités d’État, lesquelles intègrent l’histoire religieuse dans l’histoire sociale. Mais si laïcisation ne signifie pas nécessairement déconfessionnalisation, il est cependant convenu qu’un historien n’a pas à faire connaître ses convictions religieuses, qui pourraient entraver le caractère scientifique de son travail. L’autre raison est l’ouverture de champs de recherche multiples : différentes écoles et approches assument (sans véritable débat) des formes de recherche distinctes qui, loin de porter seulement sur des objets spécifiques (l’Église et le clergé, les pratiques et les croyances) subsumés sous le nom générique de « vie religieuse » et considérés comme complémentaires, renvoient à des options théoriques particulières. Longtemps confinée à l’histoire institutionnelle de l’Église et du clergé (A. Fliche et V. Martin (dir.), Histoire de l’Église des origines jusqu’à nos jours, 1939-1956), qui a permis d’enjamber la rupture révolutionnaire au profit d’une lecture continuiste, l’histoire religieuse s’intéresse depuis quelques décennies aux croyances et pratiques religieuses du plus grand nombre, ce qui l’amène sur des territoires communs avec la démographie historique, l’histoire des représentations collectives, la sociologie et l’anthropologie. Étudier l’Église, institution englobante, pour elle-même fait courir le risque de dissoudre le « vécu » dans le « prescrit » d’où le recours à l’histoire des mentalités, puis à celle des représentations dans le dernier quart du XXe siècle (cf. entre autres H. Martin, Mentalités médiévales (1re éd. 1996), puis Représentations collectives XIe-XVe siècle (2001).
    L’anthropologie quant à elle a permis aux historiens de s’éloigner d’un modèle de la religion comme système clos de croyances et de rites à finalités purement spirituelles, et d’élaborer une conception plus vaste : celle d’un système d’interprétation du monde sur lequel des actions symboliques agissent, système qui informe l’ensemble des représentations que les hommes ont de leurs activités. Ainsi est-il permis de réévaluer de manière critique l’opposition artificielle entre magie et religion ou la dichotomie sacré/profane. Certains historiens n’évoquent d’ailleurs plus « la » religion médiévale mais « des » religions médiévales (Chrétientés médiévales VIIe-XIe siècle, 1997) et explorent leurs expressions régionales spécifiques, comme dans le cas du catharisme, qui n’est plus traité dans l’optique cléricale de l’hérésie (J. Berlioz (dir.), Le Pays cathare. Les religions médiévales et leurs expressions méridionales (2000).
    Dans ce nouveau cadre heuristique, le clergé est étudié comme instrument de propagation de normes religieuses, et cette recherche tend dès lors à devenir une histoire du croire et du faire croire, articulant les dimensions individuelles et collectives dans une perspective anthropologique et historique. Le colloque fondateur dans ce domaine fut celui organisé à Rome en 1981, Faire croire, dont le questionnaire initial reste encore d’actualité (1. Les instruments de la persuasion : a. La parole, b. Les gestes ; 2. Les enjeux et les objectifs ; 3. Les modalités de la réception). La prosopographie du clergé permet de mieux situer sa place dans la société et ses capacités d’action et de prise de parole.
    D’où le problème que pose désormais la notion de « religion populaire » (cf. encore J. Shinners (ed.), Medieval Popular Religion 1000-1500. A Reader, 1997, 2e éd. 2009), ne serait-ce que par la difficulté à cerner le « populaire » (les laïcs, les clercs des ordres mineurs, les paysans et artisans ?). Par ailleurs, est « populaire » ce qui est destiné au peuple, reçu par lui ou créé par lui ? On ne sait pas toujours dans quelle configuration se placent les analyses proposées. J.-C. Schmitt puis M. Lauwers ont avancé la notion de « culture folklorique » de manière à éviter cet écueil. J.-C. Schmitt a également recours au concept de « figure de compromis » pour désigner les rituels dénoncés (souvent associés à des survivances païennes) comme des « superstitions » par l’Église, afin d’éviter de valider les lignes de partage imposées par l’Église entre religion (légitime) et superstitions (condamnées).
    L’usage des notions de « culture folklorique » et de « figure de compromis » ont permis de démontrer que les pratiques et croyances de l’Église permettent de sortir du schéma à sens unique d’une Église monolithique évangélisant les masses ou leur imposant une acculturation chrétienne : les échanges ont été réciproques entre les fidèles et les diverses structures d’encadrement religieux et ont eu des conséquences économiques, politiques et sociales. Ces interactions se rencontrent dans la « religion civique » (A Vauchez), dans les rituels (notamment politiques) impliquant les reliques des saints (E. Bozoky), l’adaptation de la prédication au « public cible » (travaux qui, dans la lignée de N. Bériou, empruntent des outils conceptuels aux sciences de la communication), l’histoire monastique réinsérée dans une histoire sociale globale (avec l’aide de la prosopographie), etc.
    Enfin, les sources mêmes de cette histoire se sont diversifiées : outre le droit canonique, elles intègrent les images et les textes dans leurs rapports complexes au cœur de l’espace public (A. Martignoni) comme au sein de l’espace privé et domestique (objets de la vie quotidienne, images pieuses…), tout comme la musique en lien avec la liturgie. L’espace sacré du sanctuaire est lui-même objet et non plus seulement cadre des travaux (D. Iogna-Prat). L’histoire de la théologie, même si elle ne peut faire l’impasse sur de grandes figures, s’attache à des penseurs moins connus, tente de suivre la genèse de leur pensée, les canaux de diffusion de leurs œuvres et leur réception. Si on peut observer depuis quelques années un retour des grandes figures religieuses dans des ouvrages monographiques, ceux-ci sont résolument orientés vers la construction d’une légende hagiographique et sur sa réception (saint Louis selon J. Le Goff, François d’Assise éclairé par J. Dalarun).


    Haut de page
  • Bibliographie

    24 juillet 2014

    De l’usage de l’Histoire religieuse

    - Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du XIIe au XVe siècle. Actes de la table ronde de Rome (16-19 mai 1979) Rome, l’École française de Rome, 1981 (Collection de l’École française de Rome, 51),
    - WIRTH Jean, « La naissance du concept de croyance (XIIe-XVIe s.) », Bibliothèque d’Humanisme et de Renaissance. Travaux et Documents, XLV (1983), p. 7-58.
    - LAUWERS Michel, « “Religion populaire”, culture folklorique, mentalités. Notes pour une anthropologie culturelle du Moyen Age », Revue d’Histoire ecclésiastique, 82/ 2 (1987), p. 221-258.
    - SCHMITT Jean-Claude, « Une histoire religieuse du Moyen Âge est-elle possible ? », dans Il mestiere di storico del medioevo, F. Lepori et Fr. Santi éd., Spolète, Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 1994, p. 73-83.
    - GUERREAU Alain, L’avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Âge au XXIe siècle ?, Paris, Seuil, 2001.


    Haut de page

  • Notes et adresses des liens référencés

rss | Retrouvez Ménestrel sur Twitter | Retrouvez Ménestrel sur Facebook | Plan du site | Derniers articles | Espace privé | Mentions légales | Qui sommes-nous? | ISSN : 2270-8928