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... latin médiéval

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  • De l’usage du latin médiéval

    Stéphane GIOANNI, 18 janvier 2012 | 9 septembre 2009
    Latin |

    Stéphane GIOANNI

    (Maître de conférences de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)


    Le renouvellement des études médiolatines a permis de modifier notre perception de la langue latine. Ces profonds changements ne doivent pas être interprétés comme un retour au dogme positiviste qui obligeait le chercheur à s’effacer devant le document brut mais comme un moyen d’accéder aux sources et de restituer les pratiques de l’écrit qui permettent de passer de l’archive au document et du document à l’histoire.
    Le latin est la langue majoritaire de l’écrit, en Occident, jusqu’au XIIIe siècle et au-delà dans certains domaines comme la religion ou le droit. Il est ainsi un instrument essentiel du dispositif de communication, de création, de représentation et de domination élaboré par les individus et les groupes. Compte tenu de la masse de documents non-traduits ou inédits, l’apprentissage de la langue est inséparable d’une initiation à la lecture des manuscrits, aux techniques du livre et aux conditions de transmission textuelle (bibliothèques, scriptoria, écoles, circulation des personnes et des livres). Il n’existe pas, dans l’Université française aujourd’hui, de chaire spécifique de latin médiéval, contrairement à l’Italie ou à l’Allemagne mais le latin et la paléographie sont enseignés au titre des « sciences auxiliaires » de l’Histoire médiévale dans de nombreuses Universités. En revanche, les départements d’Histoire ne proposent pas d’enseignement spécifique des traditions documentaires et littéraires, indispensables pour commenter des sources tributaires de topiques, de citations et de formes rhétoriques, y compris dans les actes de la pratique ou les préfaces de cartulaire. La collection Typologie des sources du Moyen Âge occidental s’efforce de combler cette lacune en établissant la nature de chaque genre de sources et en formulant des méthodes de critique historique.

    L’apprentissage du latin médiéval est facilité par des instruments de travail. Le premier Manuel de latin médiéval en langue française, publié en 1968 par Dag Norberg, a été remplacé en 1996 par le manuel pour grands commençants de Monique Goullet et Michel Parisse Apprendre le latin médiéval, déjà réédité, qui présente l’avantage de tirer ses exemples de sources médiévales, et qui fut complété en 2003 par un livre d’exercices. Les étudiants plus avancés peuvent utiliser Le latin médiéval de Pascale Bourgain, paru en 2005, qui contient des exemples de tous les types d’écrits médiévaux suivant le degré de complexité linguistique et stylistique. L’analyse et la traduction des extraits fournissent les outils nécessaires pour aborder l’ensemble des productions médiolatines. Elles remettent en cause la distinction parfois artificielle entre textes littéraires et documents de la pratique dont les rédacteurs, issus de la même civilisation, ont reçu la même formation. Mais ces outils ne prétendent pas remplacer les manuels conçus pour la langue classique puisque le latin médiéval ne constitue pas une langue spécifique.

    Les sources médiévales sont accessibles dans plusieurs collections de référence et dans des bases de données informatiques, disponibles sur CDRom ou sur Internet, qui facilitent l’identification des citations littéraires et scripturaires. Ces nouveaux instruments contribuent au développement d’outils statistiques et de méthodes quantitatives portant sur la lemmatisation ou l’analyse des formes, qui, sans être infaillible pour la critique d’attribution ou la détection des faux, fournit de précieux instruments pour la critique diplomatique et l’étude historique.

    Les nouvelles approches du fait linguistique se concentrent sur les relations entre le latin et les langues romanes d’un point de vue linguistique et sociolinguistique, depuis la latinophonie de l’Antiquité tardive (IIIe-VIe siècles) jusqu’à la romanophonie du haut Moyen Âge (VIIIe-IXe siècles). Elles permettent de saisir les fluctuations entre le latin et les langues vulgaires mais aussi entre les niveaux de langue intermédiaires (du latin officiel aux formes les plus simples). Les études en linguistique diachronique (Banniard) démontrent que l’évolution de la langue tient compte de nouvelles conditions de production documentaire et de nouvelles exigences de communication qui s’efforcent d’entretenir l’héritage de la rhétorique antique tout en assurant une plus grande intelligibilité et un rapport plus étroit avec l’oralité.

    L’expertise directe des manuscrits, sur laquelle se fonde toute édition critique ou diplomatique des sources, éclaire également les conceptions linguistiques des auteurs et des scribes du Moyen Âge en se fondant sur l’examen des variantes, de l’orthographe ou de la flexion. Elle révèle des indices sur l’évolution, les usages et, dans certains cas, la prononciation de la langue latine.

    Les études sur la lexicographie, notamment sur les glossaires, sont une aide précieuse pour l’analyse des mécanismes de désignation, d’argumentation et de représentation. Elles montrent l’enrichissement progressif du vocabulaire latin qui ne cessa d’emprunter des termes aux langues anciennes et vernaculaires, et se constitua en langue technique dans différents domaines (liturgique, juridique, médical…). En 1920, l’Union académique internationale invita tous les pays à réaliser leur propre lexique en exploitant leurs documentations nationales en vue de la rédaction d’un dictionnaire international, le « Nouveau Du Cange » (Novum Glossarium Mediæ Latinitatis) dont la réalisation est en cours (mots de L à Plaka édités).

    Les traductions latines et les conditions d’assimilation des textes d’origine non-latine par l’Occident médiéval sont elles aussi l’objet d’une attention croissante. Les lieux de contacts culturels et scientifiques, les pratiques de bilinguisme et de diglossie montrent en effet que le latin fut perçu comme un moyen de diffuser en Occident des textes et des pensées d’origine non-latine. Alors que l’Antiquité présentait le latin comme une langue universelle destinée à rapprocher les peuples dans la civilisation, les auteurs médiévaux pratiquent le latin comme le fondement d’une communauté linguistique et comme un moyen d’éliminer les autres langues dans le champ du savoir, de la politique ou de la religion.

    Pratiquer le latin médiéval, c’est donc être en mesure d’accéder à des sources connues ou inconnues et aux différents usages de la langue latine. C’est aussi contribuer à la constitution d’un corpus et à la connaissance d’une langue qui oscilla pendant des siècles entre une stabilité rassurante (la langue de la norme et de l’autorité) et une évolution permanente qui reflète, en même temps qu’elle y contribue, les principales mutations de l’Histoire médiévale.


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  • Bibliographie

    Stéphane GIOANNI, 23 janvier 2012 | 9 septembre 2009
    Latin |

    De l’usage du latin médiéval

    - BANNIARD Michel, Viva Voce. Communication écrite et communication orale du IVe au IXe siècle en Occident latin, Paris, Études augustiniennes,1992.
    - CURTIUS Ernst Robert, La littérature européenne et le Moyen Âge latin, Paris, Presses universitaires de France, 1956.
    - STROH Wilfried, Le latin est mort, vive le latin ! Petite histoire d’une grande langue, Paris, Les Belles Lettres, 2008.
    - WRIGHT Roger, A sociophilological study of Late latin, Turnhout, Brepols, 2003.
    - Latin et langues techniques, J.-P. Brachet et C. Moussy dir., Paris, 2006.
    - Les historiens et le latin médiéval, M. Goullet et M. Parisse dir. , Paris, 2001.

    Dictionnaires :

    - Glossarium mediae et infimae latinitatis, publié par Ch. du Fresne, sieur DU CANGE (1610-1688), réimpr. chez Didot, 1840-1861 (8 vol.).
    - Mediae Latinitatis lexicon minus, dir. J. Fr. Niermeyer, Leiden, 1942.
    - Lexique Latin-Français. Antiquité et Moyen Âge, M. Parisse dir., Paris, 2006.


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