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  • De l’usage des sources notariales en Histoire médiévale

    Philippe BERNARDI, 1er octobre 2012 | 20 juillet 2010

    Philippe BERNARDI

    (Directeur de recherche CNRS - LAMOP)


    Le notariat public, apparu dans la seconde moitié du Moyen Âge, a produit une documentation dont l’intérêt pour l’étude de la vie économique et sociale a été amplement vanté. Les actes de la pratique produits laissent, en effet, espérer approcher au plus près du quotidien de l’homme médiéval, et leur abondance comme leur diversité ont donné à penser qu’ils pourraient contribuer au projet d’une histoire totale. Destinés par essence à conserver la mémoire de certaines actions, ces documents ont très tôt servi de sources aux historiens. La période contemporaine a vu leur usage se développer considérablement, facilité par le dépôt, en France, des registres les plus anciens aux Archives départementales, parfois dès la fin du XIXe siècle mais surtout après la loi du 14 mars 1928 qui autorisa les notaires à agir de même avec tous leurs répertoires et minutes de plus de 125 ans. Juristes et historiens de l’art furent, dans un premier temps, les plus actifs dans l’exploitation de ces fonds. Qu’il se soit agi alors de s’intéresser à l’institution du notariat elle-même, à sa manière d’appliquer le droit, ou bien aux artistes et aux monuments majeurs, les démarches adoptées ont été relativement proches, privilégiant les actes singuliers par leur nature ou par leur objet. Au cours des années 1950-1960, les grandes thèses d’histoire urbaine inaugurèrent un traitement plus sériel de cette source, moins anecdotique, cherchant à tirer parti de son volume même.
    La richesse des sources notariales tient en premier lieu à leur importance numérique. Mais il convient de préciser, comme le fait Odile Redon, « là où elles ont existé et ont été conservées ». La masse documentaire utilisable permet ainsi une appréhension relativement fine d’une population et de ses activités. La répartition inégale de telles sources limite cependant les comparaisons tant géographiques que chronologiques. La conservation partielle et aléatoire de ces archives pose, par ailleurs, la question de leur représentativité. Elle interroge sur la pertinence d’un traitement strictement comptable des occurrences qui, malgré son vernis statistique et un habillage graphique plus ou moins savant, ne saurait avoir, à lui seul, valeur de démonstration scientifique.
    La richesse des sources notariées tient également à la diversité des domaines abordés par des conventions qui, en milieu rural comme urbain, peuvent concerner aussi bien des affaires de famille que des obligations, des situations et des procédures juridiques, voire des questions féodales et ecclésiastiques. En ce sens, les thématiques abordables sont innombrables si l’on prend garde au fait que cet acte officiel n’est une source directe que pour des pratiques juridiques qui en déterminent, formatent ou orientent le propos. N’y sont consignés systématiquement que les points importants ou singuliers de l’accord. Par sa nature officielle, l’acte notarié rend ainsi compte des grandes scansions que sont le mariage, les acquisitions d’immeubles, etc., mais il renseigne moins ou de manière moins directe sur ce qui forme la toile de fond de ces événements : la coutume, d’une part, réglée à un autre niveau ; et les petits arrangements, de l’autre, de l’ordre de l’informel ou de l’intime. Enfin, il ne dit rien de l’ensemble des échanges quotidiens qui s’effectuent sans avoir besoin d’un contrat, en payant comptant.
    L’inscription de l’acte notarié dans un temps précis a fait en partie le succès de son usage en raison du terme qu’il permet de fixer dans le cadre de l’étude d’une œuvre, d’un personnage ou d’une pratique quelconque. La date de rédaction du texte n’est toutefois qu’un repère chronologique parmi d’autres, plus ou moins absolus ou relatifs, que révèle une lecture attentive du document. Il y a le temps de la genèse de l’accord ; le temps même de sa rédaction – qui peut être distinct du début de son application – ; le délai d’application du contrat ; celui du ou des paiements qui y sont associés ; enfin, le temps de la vigueur juridique de la convention. Au-delà du strict repère chronologique, ponctuel, c’est comme témoin émergé d’un temps plus long (un temps fait de négociations, de projections dans l’avenir, de suivi des relations) que l’acte notarié revêt un intérêt pour l’historien : comme source privilégiée sur les échanges « à terme » d’une société.
    Testaments, actes de mariage, contrats d’embauche ou de réalisation d’une œuvre placent l’individu au centre de la convention. Ces textes ont, de ce fait, été abondamment utilisés pour rendre compte de parcours individuels. L’usage, incontestable en ce qui concerne la sphère du privé, ne paraît toutefois pouvoir être étendu sans réserve à l’étude des formes d’organisation de l’activité économique. En quelle qualité intervient, par exemple, le maçon prenant à forfait la réalisation d’une église : en tant qu’artisan assurant lui-même l’intégralité des travaux, en tant que spécialiste projetant de sous-traiter une partie du chantier, ou bien comme entrepreneur ? La recherche de garanties peut, dans ce cas, biaiser l’évidence des termes du contrat et se présenter comme un piège pour l’historien.
    L’usage des actes notariés, constitués en séries et/ou envisagés pour leur singularité (les deux approches ne sont pas exclusives), repose généralement sur une analyse littérale des clauses du contrat et sur ce que, de manière directe ou indirecte, les pratiques évoquées révèlent de la société médiévale. Mais la langue des notaires, avec sa richesse lexicale et son bilinguisme subtil (latin/vulgaire), se présente elle-même comme une source aux possibilités importantes bien qu’encore peu exploitées. Elle témoigne par ses emprunts, d’influences culturelles difficiles à saisir autrement, et par son évolution, de la « vulgarisation » de concepts ou manières de penser la société dont la diffusion nous échapperait, sans cela, pour une bonne part. Histoire de l’art, des pratiques économiques, de la vie religieuse, des villes, des villages… les sources notariales connaissent des domaines d’application multiples longtemps marqués par des usages spécifiques qu’il conviendrait, de nos jours, de combiner systématiquement afin de chercher à atténuer, sans espérer l’effacer totalement, l’effet déformant de tels « prismes ».


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  • Bibliographie

    Philippe BERNARDI, 1er octobre 2012 | 20 juillet 2010

    De l’usage des sources notariées

    - L’historien et l’activité notariale, G. Audisio dir., Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2005.
    - Notaires et crédit dans l’Occident méditerranéen médiéval, F. Menant et O. Redon dir., Rome, École française de Rome, 2004.
    - Le notaire entre métier et espace public en Europe VIIIe - XVIIIe siècle, L. Faggion, A. Mailloux et L. Verdon dir., Aix-en-Provence, Presses de l’Université de Provence, 2008.
    - STOUFF Louis, « Les registres de notaires d’Arles (début XIVe siècle - 1460) », Provence historique, 25 (1975), p. 305-324.
    - AUBENAS Roger, Étude sur le notariat provençal au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, Aix-en-Provence, éd. du Feu, 1931.


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