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... systèmes d’information géographique

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  • De l’usage des SIG en Histoire médiévale

    Hélène NOIZET, 20 octobre 2017 | 27 janvier 2015

    Hélène NOIZET

    (Maître de conférences de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)


    Issus du monde des entreprises, les SIG (Systèmes d’Information Géographique) se sont diffusés depuis la fin des années 1990 dans le monde de la recherche en sciences humaines et sociales, non seulement en géographie, mais aussi dans les disciplines historiques. Pour simplifier, un SIG est une base de données informatique couplée à un volet spatial. L’utilisateur se trouve donc face à deux ensembles de données, la table dite « attributaire », et la fenêtre de la carte :
    - la table est un simple tableau, avec des lignes (correspondant aux objets étudiés : par exemple un ensemble d’églises) et des colonnes (appelées champs ou attributs, qui servent à décrire les objets : par exemple le nom, le statut, des dates de début et de fin desdites églises…), que l’utilisateur définit à loisir ;
    - la carte contient les données dites géométriques ou géographiques, qui sont soit « vectorielles » (des points, lignes ou polygones, que l’utilisateur peut tracer lui-même) ou raster (images composées de pixels, comme un ancien plan qu’on a scanné ou une photo aérienne).
    Les SIG disposent de deux atouts principaux. Ils permettent d’abord de relier automatiquement les données attributaires et géométriques : chaque ligne dans la table correspond à un objet dessiné sur la carte, par exemple un point ou un polygone. Chaque fois qu’on sélectionne des lignes dans la table, les objets concernés sont aussitôt sélectionnés sur la carte, ou vice-versa, ce qui permet d’obtenir très simplement une carte affichant le résultat de la requête. L’image ci-dessous montre ainsi la sélection des seules « églises paroissiales » dans la couche « Églises 2013 », elle-même construite dans le cadre du SIG Alpage sur le Paris pré-industriel.

    Le second atout est le géoréférencement des données géométriques, qui sont ainsi précisément localisées à la surface du globe terrestre, par un système de coordonnées. Cela permet tout d’abord de connaître en permanence le rapport d’échelle, malgré les changements d’échelle de l’affichage (on peut zoomer ou dézoomer tant qu’on veut, on sait toujours à quelle échelle on est, ce qui n’est pas le cas dans un logiciel de cartographie vectorielle). Ensuite, cela permet de croiser facilement différentes données concernant un même espace puisque, une fois géoréférencées, les données se superposent automatiquement dans la fenêtre carte.
    L’acclimatation de cette technique informatique à l’histoire des sociétés pré-industrielles, notamment antiques ou médiévales, s’est faite d’abord par l’intermédiaire de l’archéologie, dont les objets sont nécessairement localisés dans l’espace. Au-delà de déterminants techniques (des logiciels à la fois faciles à utiliser et performants sur le traitement de l’information géographique), le succès actuel des SIG en histoire révèle un changement dans le rapport à la carte (cf. le second usage de la carte indiqué par E. Vagnon) et, au-delà, un « tournant spatial » des Sciences humaines et sociales – même si certains chercheurs minorent cette réalité.
    Les médiévistes peuvent manier les SIG avec un degré variable de compétence informatique. Si les données qui servent habituellement de fonds de carte (limites administratives, villes…) existent déjà (par exemple, pour la France, les cartes de l’IGN), l’historien peut assez simplement fabriquer ses propres données, à partir des documents textuels médiévaux. Si l’on n’a pas la chance de pouvoir récupérer toutes les « couches » d’informations nécessaires pour spatialiser les documents historiques, il faut produire soi-même ces données de référence (par exemple le cadastre napoléonien, ou les ressorts ecclésiastiques médiévaux et modernes…), ce qui demande nettement plus de travail. Enfin, une utilisation plus experte encore consiste à maîtriser des procédures dites de géotraitement plus ou moins complexes (géocodage, cartes de densité, géostatistique, calcul d’itinéraires théoriques, anamorphoses, polygones de Thiessen…).
    Une fois passée l’étape plus ou moins longue de construction des SIG, leur intérêt est à double détente. Ils servent dans un premier temps à réellement interroger la dimension spatiale des objets étudiés (questions du type « où est ceci ? »). Cette possibilité de faire des requêtes attributaires ou géométriques, pour tester des hypothèses dont on ne connaît pas d’avance le résultat, se traduit par la production d’un grand nombre de cartes de brouillon. On peut ainsi, grâce au SIG, multiplier aisément les cartes « pour voir », pour vraiment tester la localisation de tel ou tel élément spécifique d’un groupe de données. On peut faire des extractions sur la taille, la forme et le nombre des objets historiques ainsi pourvus d’une dimension géographique.
    On peut aussi croiser des objets très différents et s’autoriser des rapprochements jusque-là quasiment impossibles à faire en pratique, tant pour la superposition matérielle que pour la mise en relation conceptuelle : par exemple, à Paris, les censives du XVIIIe siècle croisées avec le relief antérieur à la période antique, les ponts médiévaux, la crue de 1910, et le réseau viaire actuel révèlent un corridor semi-circulaire structurant durablement l’espace urbain dans la longue durée. Le rôle joué par le pouvoir seigneurial médiéval au XIIe siècle (drainage et mise en culture du marais sous la houlette des chanoines de Sainte-Opportune) est à replacer dans une chaîne d’interventions qui, à chaque moment particulier, participe à transmettre la forme en la transformant matériellement. On peut également tester des relations de localisation entre plusieurs données (quel objet est à une distance X de tel autre ?), ou faire des classifications sur des données quantitatives. Visualiser les parcelles de telle dimension, les villes où tel souverain s’est déplacé, les contribuables les plus riches, les boucheries les plus proches des égouts, etc. devient ainsi un jeu d’enfant – à condition d’avoir en amont structuré ses données pour répondre à ces questions.
    Après analyse de ces différentes cartes de bouillon, les SIG permettent, dans un second temps, de fabriquer des cartes publiables respectant les codes de la sémiologie graphique : les logiciels de SIG sont aujourd’hui largement suffisants pour répondre aux besoins de base, à savoir paramétrer finement la symbologie, la légende, les annotations textuelles, l’échelle, le nord. Ce qui change ainsi avec les SIG, c’est le processus de fabrication, et donc le statut scientifique, de la carte qui accompagne le discours historien : désormais, la carte permet de valider ou non les hypothèses de départ, au lieu de n’intervenir qu’à la fin du raisonnement historique et comme une simple illustration d’un raisonnement préétabli. Avec les SIG, la fabrication des cartes est faite au fur et à mesure du raisonnement et de l’analyse des documents médiévaux, elle participe de la recherche elle-même : en fonction des résultats observés sur la carte, on adapte le discours historien.
    Signalons cependant les risques et les limites inhérents à une utilisation historienne des SIG. Il y a parfois inadéquation entre l’extrême précision géographique des SIG et les documents dont dispose le médiéviste : il existe donc un risque consistant à faire croire, par des cartes graphiquement très réussies, que nous avons une connaissance très fine des espaces médiévaux, alors que ce n’est pas toujours le cas. Une autre difficulté réside dans le décalage entre la conception nécessairement territoriale (espace continu et contigu) et euclidienne des cartes ainsi produites et la pratique médiévale de l’espace, qui est vraisemblablement beaucoup plus réticulaire que territoriale : les diocèses médiévaux, ce ne sont pas les départements et on modifie leur signification à l’époque médiévale quand on les réduit à des espaces nettement délimités par des frontières, ce qu’implique le dessin géométrique d’un diocèse sous forme de polygone. Il faut alors un usage technique plus avancé des SIG pour recréer de l’incertitude et de la discontinuité entre des données nécessairement saisies de manière euclidienne.
    Enfin, il n’y a pas de bonne technique dans l’absolu : il n’y a que des usages efficaces. Il ne s’agit pas de dire que tous les historiens doivent se mettre au SIG et abandonner la carte classique. Ce choix dépend à la fois de la problématique, des données que l’historien peut rassembler et de la temporalité de sa recherche. Si les questions sont fondamentalement géographiques et visent à analyser la dimension spatiale des objets étudiés, si l’on dispose de données suffisamment nombreuses pour constituer des séries pertinentes, et si la recherche est conçue pour durer plusieurs années (et non pas pour un seul article), alors les SIG sont essentiels. Mais tous les travaux historiens ne répondent pas à cette triple condition et il n’est pas question de sacrifier la réflexion historienne à l’effet de mode SIG.
    Le risque à éviter est de se réfugier dans des procédures hyper-techniciennes au détriment de la réflexion sur leur apport scientifique : c’est le côté magique du « presse-bouton », syndrome par ailleurs présent dans toutes les techniques informatiques (bases de données classiques, analyses statistiques). C’est pourquoi il me semble tout aussi – voire plus – fondamental pour les historiens, non seulement de travailler avec des géomaticiens pour mettre en œuvre des géotraitements, mais surtout d’apprendre à maîtriser eux-mêmes les fonctions de base des SIG. La démocratisation des SIG me semble ainsi être l’enjeu principal, afin d’éviter l’écueil de la déconnexion entre le géomaticien et l’historien.
    Bref, comme toutes les techniques informatiques utilisées en histoire, le SIG n’est pas une fin en soi, mais, exploité à bon escient, il peut produire des connaissances historiques réellement neuves.


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  • Bibliographie

    Hélène NOIZET, 27 janvier 2015

    De l’usage des SIG

    Bibliographie

    -  Des paroisses de Touraine aux communes d’Indre-et-Loire. La formation des territoires, Élisabeth Zadora-Rio dir., 34e supplément à la RACF, éd. FERACF, Tours, 2008, 304 p.
    -  LETURCQ Samuel, Un village, la terre et ses hommes. Toury en Beauce, XIIe-XVIIIe siècle, éd. CTHS, Paris, 2004, 565 p.
    -  Paris de parcelles en pixels. Analyse géomatique de l’espace parisien médiéval et moderne, Hélène Noizet, Boris Bove, Laurent Costa dir., Presses universitaires de Vincennes-Comité d’Histoire de la Ville de Paris, Paris, 2013, 350 p.
    -  Sources et techniques de l’archéogéographie, Sandrine Robert, Laurent Costa dir., Presses universitaires de Franche-Comté, 2011, 235 p.
    -  Temps et espaces de l’homme en société. Analyses et modèles spatiaux en archeology, Jean-François Berger, Frédérique Bertoncello, Frank Braemer, Gourguen Davtian, Michiel Gazenbeek dir., Antibes, 2005, 535 p.
    -  The Spatial Humanities : GIS and the Future of Humanities Scholarship, David J. Bodenhamer, John Corrigan, Trevor M. Harris dir., Bloomington, Indiana University Press, 2010, 203 p.

    Webographie

    -  AnaLyse diachronique de l’espace urbain PArisien : approche GEomatique, Hélène Noizet coord.
    -  BROINE Éric, Archéologie et SIG
    -  LIENHARD Thomas, Produire une cartographie des mondes médiévaux


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