En Libye, les études médiévistes souffrent d’un désintérêt notable. Moins prestigieuse que l’époque antique et ses sites (Leptis, Sabratha, Cyrène…), moins significative en termes d’identité nationale que l’époque ottomane, moins porteuse politiquement que l’époque coloniale, l’époque médiévale a en effet été explicitement déjugée par le discours idéologique du régime du colonel Kadhafi (1969-2011).
La médiévistique y est cependant représentée à travers l’ensemble du pays, notamment par l’histoire. Les contextes étudiés sont variés, de l’Europe occidentale au monde islamique, en passant par les études byzantines ; en lien avec le discours politique, on repère cependant un désintérêt marqué pour l’histoire nationale, peu de spécialistes des espaces libyens (Tripolitaine, Cyrénaïque, Fezzan) à l’époque médiévale se trouvant actuellement en poste.
En ce qui concerne l’archéologie, un puissant tropisme antique marque les activités d’enseignement comme de recherche, et l’époque médiévale n’est que très rarement abordée autrement que sous l’angle de la transition avec l’Antiquité ; en outre, la dimension économique (valorisation touristique des sites) y est parfois aussi importante que les aspects strictement scientifiques.
Ayant obtenu son indépendance en 1951, la Libye a fait le choix, à l’époque de Kadhafi, de créer un important réseau universitaire à travers le pays. Comme le reste de la société libyenne, le milieu académique a été très fortement impacté par la révolution de 2011, ainsi que par ses conséquences dans les années 2010 (première, deuxième et troisième guerres civiles libyennes). Depuis 2019 cependant, un dynamisme nouveau y est insufflé par un retour au calme, quoique précaire : le réseau des études historiques est en train de se restructurer et de renouer des liens avec l’étranger.
Actuellement, les principaux acteurs académiques des études médiévistes sont dispersés à travers le pays ; la majeure partie d’entre eux sont des universités. La plupart d’entre elles publient par ailleurs des revues, généralistes ou plus spécifiques (sciences humaines voire histoire), souvent facilement accessibles en ligne.
Nous remercions nos collègues Hafed Abdouli (U. de Sfax, Tunisie), Inas Bubtana (U. de Benghazi, Libye), Khaled Elhaddar (U. de Benghazi, Libye) Muftah al-Haddad (U. al-Zaytūna de Tarhūna, Libye) pour la richesse et la précision des informations qui suivent.
L’Académie libyenne des hautes études. Fondée en 1988, elle comprend entre autres une école des sciences humaines, dans laquelle fonctionne un département d’histoire. Si son siège est à Janzour, dans la banlieue de Tripoli, une antenne fonctionne également à Misrata, là encore avec un département d’histoire.
L’université islamique d’al-Asmariyya (Zliten), créée en 1995 et spécialisée dans les sciences islamiques telles que la théologie et la jurisprudence. La faculté des lettres y abrite notamment un département d’histoire ; la faculté de langue arabe et d’études islamiquesun département d’histoire et de civilisation islamique.
L’université de Benghazi (connue sous le nom d’Université Gar Younes jusqu’à la Révolution).
o Doyenne des universités du pays (fondée par le roi Idris en 1955), elle en est la plus réputée et la mieux classée dans les divers classements internationaux. On y trouve un département d’archéologie, un département d’histoire, ainsi qu’une faculté d’archéologie et de valorisation touristique, décentralisée sur le site de Tocra.
o Elle abrite la plus vaste collection de manuscrits du pays (un quart des items identifiés dans l’ensemble du pays), collection qui fut durement impactée par la guerre civile (une partie importante en fut dérobée, puis retrouvée par la police en 2017). Depuis 2023, c’est un institut indépendant qui en assure la préservation : son équipe, dirigée par Muḥammad al-Walīd, a achevé fin août 2023 l’inventaire du fonds et mis à jour son catalogue demeuré incomplet.
L’université de Beni Walid, établie en 2015. Elle fait partie des rares universités libyennes qui ne possèdent pas de département d’histoire, mais seulement d’archéologie, rattaché à la faculté d’éducation.
L’université de Derna, fondée en 1994, où existe un département d’histoire. La ville ayant été récemment dévasté par la tempête Daniel (septembre 2023), les équipes pédagogiques ont été fortement touchées.
Le Département des Antiquités, créé pour crédibiliser l’adhésion de la Libye à l’UNESCO (1953) et adossé au musée national de Tripoli, où se trouve son siège. Le département des Antiquités œuvre dans tout le pays, possédant des antennes dans plusieurs villes de province. Menant des travaux très majoritairement archéologiques, ses équipes sont essentiellement dédiés à l’étude de l’Antiquité, même si plusieurs spécialistes s’intéressent également à l’époque islamique.
La ville d’El Beyda abrite deux universités complémentaires, toutes deux fondées en 1961. La première est l’université islamique Muḥammad b. ʽAlī al-Sanūsī, El Beyda, qui est la deuxième université islamique du pays. Elle abrite notamment un département d’histoire et de civilisation. La seconde est l’université ʽUmar al-Muḫtār, généraliste, où fonctionnent un département d’archéologie, un département d’histoire et une faculté de tourisme et d’archéologie, décentralisée sur le site de Susah, qui comporte notamment un département d’archéologique classique et un département d’archéologie islamique.
L’université de la Daʽwa islāmiyya. Fondée en 1974, cette université est l’antenne tripolitaine du réseau de la World Islamic Call Society. Elle comporte aujourd’hui un département de langue arabe et un département de sciences islamiques. En outre, elle publie une revue annuelle ainsi que des ouvrages dans le champ religieux.
Dans le Fezzan, l’université de Sebha, fondée en 1976, représente l’essentiel des activités académiques. Elle possède notamment un département d’histoire. Il en existe également à l’université d’al-Jufrah et à l’université du Wadi al-Shati, toutes deux récemment créées.
L’université de Gharyân. Fondée en 1991, elle possède en particulier un département d’histoire.
L’université d’el-Mergib, créée en 1991. Sur le campus décentralisé de Khoms, elle possède une faculté d’archéologie, qui chapeaute un département d’archéologie classique et un département d’archéologie islamique ; ainsi qu’un département d’histoire qui dépend de la faculté des lettres. Sur le site de Msallata a récemment été installée une antenne du département d’histoire.
L’université de Misrata, qui est l’une des plus importantes du pays en termes d’études médiévales. Créée dès 1984, elle a la particularité d’abriter deux départements d’histoire, l’un relevant de la faculté des lettres, l’autre de la faculté d’éducation. Il s’y trouve également un département de tourisme et d’archéologie.
L’université de Sabratha, créée après la révolution (2015). Elle comporte notamment une faculté de tourisme et d’archéologie ; ainsi qu’un département d’histoire et un département d’archéologie, tous deux rattachés à la faculté d’éducation. Une antenne du département d’histoire a également été installée sur le campus décentralisé de Zaltan.
L’université de Syrte. Détachée de l’université de Benghazi en 1991, elle possède en particulier un département d’histoire et d’archéologie.
L’université de Tobrouk, où cohabitent un département d’histoire et un département d’archéologie et de tourisme.
L’université de Tripoli, rendue indépendante en 1973. Plus grande université de Libye avec plus de 50.000 étudiants, elle possède un département d’histoire actif dans lequel une équipe de médiévistes s’est singularisée. Il est à noter que l’université de Tripoli se distingue par une tradition affirmée de francophonie, plusieurs collègues en poste là-bas ayant aussi été étudié le français (voire fait une partie de leurs études en France).
L’université d’al-Zawiya. Fondée en 1983, elle accueille un département d’histoire et, depuis 2011, un département de langue amazigh (berbère), installé à Zouara et dont les spécialistes sont parfois amenés à travailler sur des corpus écrits remontant pour certains à l’époque médiévale.
L’université Zaytūna de Tarhūna. Créée en 2001, elle dispose d’un département d’histoire (qui dépend de la faculté d’éducation) et d’un département de tourisme et d’archéologie (faculté des lettres).
On peut ajouter à ces structures universitaires un certain nombre d’institutions publiques chargées de conserver le patrimoine écrit, qu’il soit contemporain, ottoman ou médiéval. C’est le cas notamment de :
la Bibliothèque nationale de Libye (Dār al-kutub al-waṭaniyya), installée à Benghazi depuis sa création en 1970. Organe central de la vie éditoriale libyenne (elle en assure les missions relatives au dépôt légal), son bâtiment a été détruit pendant la guerre civile. Elle abrite 120 manuscrits actuellement en cours de catalogage.
Le Centre Libyen pour les Archives et les Études Historiques (al-Markaz al-lībī li-l-maḥfūẓāt wa-l-dirāsāt al-tārīḫiyya, connu avant 2010 sous le nom de Markaz al-jihād), installé à Tripoli. Ce centre des archives est né, dans le contexte de la création de la Jamahiriya (1977), répondant à la volonté politique d’établir une mémoire nationale adossée à une masse considérable de productions écrites du passé. Une loi de 2009 puis une autre en 2012 ont confirmé sa mission : « rassembler, conserver, cataloguer et protéger manuscrits et documents ». C’est indiscutablement l’institution de référence en la matière. L’essentiel des fonds ne remontant guère au-delà du XVIIIe siècle, la médiévistique y est cependant reléguée en arrière-plan, représentée seulement par quelques spécialistes du département des manuscrits.
La société libyenne étant profondément travaillée par les questions identitaires et mémorielles, de nombreux acteurs associatifs sont à signaler pour leur rôle en ce qui concerne l’histoire du pays. Citons à titre d’exemple :
L’Association de Ghadamès pour le patrimoine et les manuscrits (Ǧamʽiyyat Ġadāmis li-l-turāṯ wa-l-maḫṭūṭāt), qui fédère un nombre important de bénévoles et bénéficie du soutien des notables locaux.
L’association familiale al-Ḥuḍayrī (Abnā’ al-Ḥuḍayrī), installée à Sebha, qui valorise notamment les manuscrits de la région.
La zāwiya al-Asmariyya, fondée à Zliten autour de la sépulture de ‘Abd al-Salām al-Asmar, un santon local mort en 1578, qui maintient des activités d’enseignement traditionnel et possède une collection de manuscrits et d’imprimés anciens.
Le Centre al-Tāhir al-Zāwī pour les études, la recherche et la publication du patrimoine (Markaz al-šayḫ al-Ṭāhir al-Zāwī li-l-dirāsāt wa-l-abḥāṯ wa-taḥqīq al-turāṯ), fondée par les héritiers du grand historien libyen al-Tāhir al-Zāwī (1890-1986), qui a notamment développé des activités éditoriales.
Les réseaux sociaux ont également permis l’essor de nombreuses communautés en ligne, qui rassemblent des milliers de Libyens intéressés par l’histoire du pays, qu’il s’agisse de professionnels ou d’amateurs passionnés. Ce sont aujourd’hui des médias de premier plan, indispensable en ce qui concerne la veille scientifique comme la prospection documentaire ou matérielle.
Enfin, signalons qu’il existe :
un Centre d’études et de recherches sur l’ibadisme (Ibadica), de statut associatif, dont le siège est à Paris. De diverses manières, Ibadica contribue à des projets de recherche académique internationaux ayant pour thème les communautés ibadites libyennes, majoritairement localisées dans le Jabal Nafūsa, c’est-à-dire dans l’arrière-pays tripolitain.
au Royaume-Uni, un British Institute for Libyan and North-African Studies, qui publie la revue Libyan Studies ainsi qu’une collection de monographies dont certaines sont en téléchargement libre. Connu jusqu’en 2022 sous le nom (évocateur) de Society for Libyan Studies, cet institut qui dépend aujourd’hui de la British Academy n’accorde cependant qu’un intérêt limité à la Libye médiévale, essentiellement par le biais de l’archéologie de l’Antiquité tardive ; cet intérêt est par ailleurs déclinant, ainsi que le montre le changement de nom de la structure qui n’a plus travaillé in situ depuis 2011.
le collectif LibMed, un groupe international de chercheurs qui partagent un intérêt scientifique pour les espaces libyens à l’époque médiévale. Il propose pendant l’année universitaire un wébinaire scientifique en accès libre (inscription), en anglais et en arabe ; il a récemment inauguré la collection Libya Islamica, publiée par Brill, afin d’assurer la diffusion de ses travaux.