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... registres

  • De l’usage des registres en Histoire médiévale

    Olivier GUYOTJEANNIN, 8 février 2016

    Olivier GUYOTJEANNIN

    Professeur de Diplomatique et archivistique médiévales à l’École nationale des chartes


    Le terme de « registre » est des plus ambivalents. Pour le diplomatiste, le « registre » n’est pas une forme codicologique ou archivistique particulière et antonyme du rouleau ou de la feuille volante : c’est le résultat d’une pratique de compilation et de conservation des écritures documentaires, qui se distingue essentiellement par le caractère planifié et progressif de sa constitution, délibérément ouvert vers l’avenir. En ce sens, quels que soient les tâtonnements de ses débuts et les incohérences de sa tenue, il témoigne d’une conscience aiguë du rythme et de la régularité anticipés des opérations d’écriture pratiquées par des instances plus stables, dont « Le Registre » sera avec « Le Sceau » ou « La Bulle » l’un des rares points physiques d’ancrage dans l’espace.
    La définition dilate le regard : l’on peut enregistrer au départ (au lieu d’émission) des actes, des lettres, des correspondances commerciales, des minutes de notaires publics ou de tabellions, des testaments, des comptes, des sentences, des enquêtes, des visites, des délibérations, des actes d’état civil, etc. (produits par ou au nom d’un même auteur), mais aussi à l’arrivée (actes royaux adressés à un sénéchal).
    Dans tous les cas, la tenue et la conservation des registres par un ou plusieurs organes habilités à ce faire assurent aux textes transcrits une présomption d’authenticité, qui permet à leurs gardes d’en tirer des copies ou des extraits authentifiés. Le registre, du coup, se voit tiraillé entre secret du gouvernement ou des familles, et publicité, jusqu’au cas extrême où sa tenue répond à l’exigence de transparence politique dans les communes « populaires » d’Italie au XIIIe siècle. On ne doit pas oublier les caractères communs de ce vaste ensemble quand l’on considère le cœur du dispositif, celui des « registres de chancellerie », dont la diffusion dans certains États amène très vite une importation de la pratique par des chancelleries épiscopales, maigrement attestée en France, riches dès le XIIIe siècle d’impressionnantes séries de « registres épiscopaux » en Angleterre et en Aragon.
    Le lancement de l’édition des grands corpus d’actes et d’itinéraires des souverains, la collecte des sources de l’histoire de nations, de provinces, d’ordres religieux…, amorcés au XVIIIe siècle, amplifiés au XIXe, ont mis éditeurs et historiens face à une source massive, concentrée, qui faisait violent contraste avec la maigre documentation, éparpillée, des âges sans registre. Il y eut bien, dans l’Occident médiéval, une révolution du registre, ligne de partage entre une période qui, depuis l’Antiquité, faisait reposer la charge de la conservation de l’acte original sur le bénéficiaire, et une période qui vit se constituer un nouvel ordre documentaire, où la puissance publique organisait ou surveillait la conservation des actes à la source. Présentée comme une garantie (payante) offerte aux sujets, parfois au détriment du pouvoir qui semblait ne plus pouvoir se défiler (logique du « Je ne me souviens pas d’avoir pris cette décision », bien rodée à la Curie, mais aussi du « Nous n’avons rien trouvé aux registres » à Londres), cette révolution promettait aux éditeurs une moisson d’une richesse insoupçonnée, si l’on pense au million d’actes que nous auraient transmis les registres médiévaux de la chancellerie du roi d’Aragon.
    Le sentiment d’une coupure radicale dans le legs documentaire, mais encore dans les méthodes de collecte et de conservation était cependant trop simple pour être fondé. Il attira les premières analyses des diplomatistes, tel Léopold Delisle (1826-1910) pour les registres pontificaux du XIIIe siècle avant la programmation de leur publication par la toute jeune École française de Rome. L’analyse tourna au jeu de massacre : non seulement les dates emblématiques d’« invention » de l’enregistrement (1198 à Rome, 1199 à Londres, 1307 à Paris) furent révoquées par la découverte de vestiges ou de mentions de registres plus précoces : depuis l’Antiquité tardive (355) à la Curie, qui fut sans doute à l’origine de la diffusion du mot « registre » lui-même, depuis les années 1130 à Londres, 1204 à Paris…
    Mais pire encore, de simples échantillonnages révélèrent que monumentalité ne rimait pas avec exhaustivité : les registres pontificaux transcrivent 18% du matériau connu dans les deux premiers tiers du XIIIe siècle, 66% de 1277 à 1304, plus de 90% à l’époque d’Avignon ; d’autres au contraire réduisent leur ambition, dès les années 1320 pour la chancellerie royale française, qui finit par ne plus enregistrer que les actes perpétuels en faveur de particuliers et de communautés, soit par an autour de 300 à 500 transcriptions, sur une masse totale de 20 à 30 000 actes. La fragmentation des séries de registres, un peu partout au cours du XIVe siècle, traduit aussi la perte du monopole des chancelleries, avec l’intervention croissante de secrétaires plus proches du prince, plus ou moins spécialisés, mais œuvrant et au besoin enregistrant individuellement hors chancellerie – un enregistrement moins formel, moins voué à la stabilité archivistique, affecté de graves lacunes.
    Mais il est aussi des aubaines : face à des chancelleries, surtout princières, qui troquaient volontiers les transcriptions pour des regestes, d’autres reportèrent sur leurs registres non seulement un texte complet ou presque, mais encore une partie des mentions hors-teneur de l’acte, source partielle mais bienvenue de prosopographie des notaires-secrétaires (signature) et d’étude de la « société politique » (mentions de commandement des actes royaux français).
    Plus techniques, souvent plus difficiles à régler, d’autres pièces du questionnaire diplomatique n’ont pas moins de portée pour l’exploitation des registres : le degré d’homogénéité dans leur tenue, la périodicité et la régularité de leur mise à jour, leur sélectivité ; leur fonction dérivée de recueil de modèles en l’absence de formulaires ; l’intégration d’autres matériaux que les actes (lettres reçues, enquêtes, listes variées…, comme dans les « cartulaires-registres » des rois capétiens depuis Philippe Auguste) ; le classement méthodique des actes à l’intérieur des registres (Curie) ou la démultiplication des séries parallèles (par types d’actes en Aragon, sur des critères diplomatiques et géographiques en Angleterre) ; le dédoublement des séries conservées, non sans déperdition (Curie : Registra Avinionensia et Registra Vaticana, accompagnés de Registra Supplicationum) ; enfin et surtout, le plus obscur et le plus important, la source de la transcription : minute ou original avant remise au bénéficiaire, avec ou sans révision.
    L’accès aux registres des grandes chancelleries est, on l’imagine, ardu : à un foisonnement anarchique de dépouillements ponctuels et souvent partiels, s’opposent quelques grandes entreprises systématiques plus ou moins avancées, inégales de qualité, variées dans leurs méthodes : pour les Rolls anglais, les seuls en Europe à être presque complètement couverts pour l’époque médiévale, éditions des plus anciens poursuivies de regestes (Calendars) ; pour la Papauté, éditions ou rarement regestes, d’une qualité inégale, pour le XIIIe siècle, travail en cours pour l’époque d’Avignon ; pour le roi de France, inventaires analytiques d’une rare qualité mais menés à publication jusqu’en 1350 seulement. Le relais est pris par des numérisations systématiques : CDRom au Vatican, mise en ligne pour la France et la Hollande…


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  • Bibliographie

    Olivier GUYOTJEANNIN, 8 février 2016

    De l’usage des registres en Histoire médiévale

    - TESSIER Georges, « L’enregistrement à la chancellerie royale française », Le Moyen Âge, 62 (1956), p. 39-62.
    - CRUZ COELHO Maria Helena da et CARVALHO HOMEM Armando Luís de, Origines et évolution du registre de la chancellerie royale portugaise,
    XIIIe-XVe siècles
    , Porto, 1995.
    - La escritura de la memoria : los registros, Elena Cantarell Barella y Mireia Comas Via dir., Barcelone, 2011, 385 p. (VIII jornadas de la Sociedad española de Ciencias y Técnicas Historiográficas).
    - L’art médiéval du registre, XIIIe-XVIe siècle, I, Chancellerie du roi de France, II, Princes et seigneurs, Olivier Guyotjeannin dir., sous presse.

    Numérisations de registres de chancelleries en ligne

    - Rois de France (parvenue, en septembre 2014, au volume Arch. nat., JJ 56 [1319]) : http://www.culture.gouv.fr/documentation/archim/tresor-chartes.html
    - Comtes de Hollande-Zélande :http://www.historici.nl/Onderzoek/Projecten/RegistersVanDeHollandseGrafelijkheid1299-1345
    - Rois d’Aragon (en cours) : http://pares.mcu.es/


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